Explorer les représentations fictives de la Révolution haïtienne
En tant qu’historienne littéraire et intellectuelle, j’ai consacré une grande partie de ma carrière à étudier comment les représentations fictives ont influencé la manière dont les gens des XVIIIe et XIXe siècles comprenaient la Révolution haïtienne (1791-1804).
Avant le XXe siècle, pour le meilleur ou pour le pire, de nombreuses personnes apprenaient l’histoire en lisant des romans historiques. Un exemple analogue est la façon dont les gens apprennent souvent (ou pensent apprendre) des événements historiques majeurs en regardant des films comme Amistad, Il faut sauver le soldat Ryan ou La liste de Schindler.
Et dans mon premier livre, Tropics of Haiti (2015), j’ai tenté d’identifier des motifs dans les écrits fictifs ayant conduit à des représentations clairement traçables (et hautement racialisées) de la Révolution haïtienne dans les écrits historiques. Bien que je sois restée intéressée par cette question—en 2022, j’ai publié avec Grégory Pierrot et Marion Rohrleitner Haitian Revolutionary Fictions: An Anthology, une publication massive contenant des extraits de plus de 200 écrits fictifs sur la Révolution—j’ai également toujours été attirée par l’étude des vies.
Révéler Jean-Louis Vastey et l’humanisme noir atlantique
Dans mon deuxième livre, Baron de Vastey and the Origins of Black Atlantic Humanism (2017), je me suis concentrée sur l’étude de l’un des auteurs les plus prolifiques et les moins étudiés d’Haïti au début du XIXe siècle : Jean-Louis Vastey (1781-1820), qui fut nommé baron dans le Royaume d’Haïti en 1814 et servit comme l’un des secrétaires les plus éminents du premier et unique roi d’Haïti, Henry Christophe (1767-1820).
Au cours de sa vie, Vastey a publié au moins onze ouvrages de grande envergure en seulement six ans (1814-1820). Ma biographie littéraire de cet auteur retrace comment son œuvre, qui inclut la première histoire complète de la Révolution haïtienne écrite par un Haïtien, a contribué à la pensée antiraciste, abolitionniste et anticoloniale, ouvrant la voie à une tradition d’Humanisme Noir Atlantique qui inclut également Phillis Wheatley, Maria Stewart, Frederick Douglass, W.E.B. Du Bois, Frantz Fanon, Aimé Césaire et Toni Morrison.
J’ai abordé de manière plus systématique les thèmes des contributions d’Haïti à la pensée antiraciste, abolitionniste et anticoloniale dans Awakening the Ashes: An Intellectual History of the Haitian Revolution (2023).
Avec ce livre, j’ai vraiment voulu montrer comment la Révolution haïtienne s’est déroulée à travers les yeux des Haïtiens, d’une part, et explorer, d’autre part, les logiques politiques que les révolutionnaires ont développées pour la mener à bien dans leur quête de liberté face à l’esclavage et d’indépendance de la France.
Le livre examine les écrits des révolutionnaires eux-mêmes, comme Julien Raimond, Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines et Henry Christophe, mais il analyse aussi comment les historiens haïtiens du XIXe siècle ont interprété la Révolution dans la longue période qui a suivi son aboutissement dans l’Haïti indépendant.
Je retrace l’histoire de la révolution et de l’indépendance en commençant par la résistance de la population indigène de l’Ayiti du XVe siècle (rebaptisé Hispaniola par Christophe Colomb) et comment les combattants de la liberté de Saint-Domingue (nom d’Haïti sous la domination française aux XVIIe et XVIIIe siècles) se sont inspirés de la lutte de ceux qu’ils appelaient « les premiers Haïtiens ».
Le rôle fondamental d’Haïti dans l’antiracisme et les droits humains
Lorsque les Haïtiens déclarèrent leur indépendance officielle de la France le 1er janvier 1804, ils rebaptisèrent l’île Haïti, en reprenant ses appellations indigènes, Ayiti, et l’Haïti indépendant devint ensuite le premier pays à abolir définitivement l’esclavage et la traite des esclaves.
Ce qui est encore moins connu que ce fait souvent ignoré, c’est que les Haïtiens interdirent le colonialisme et l’impérialisme dans leur première constitution, et qu’en 1807, le gouvernement haïtien, par l’intermédiaire de l’éditeur du journal officiel du nord d’Haïti, Juste Chanlatte, publia les premières déclarations au monde qualifiant l’esclavage et la traite des esclaves de crimes contre l’humanité.
L’écrivain haïtien Baron de Vastey a également inventé le terme suprématie blanche en 1814, bien avant qu’il n’apparaisse dans un texte en espagnol, en français (de France) ou en anglais, et l’écrivain et historien Charles Hérard-Dumesle a inventé le terme racisme en 1824. La liberté vis-à-vis de l’esclavage qu’Haïti a instaurée comme un droit humain perdure encore aujourd’hui, lorsqu’on retrace les liens entre le mouvement abolitionniste transatlantique du XIXe siècle et les droits humains modernes, par exemple, mais les Haïtiens nous ont également donné les outils pour comprendre ce qui soutenait à la fois le système colonial et le terrible régime de l’esclavage : le racisme et la suprématie blanche.
Réexaminer la vie d’Henry Christophe
Mon livre le plus récent, une biographie intitulée The First and Last King of Haiti: The Rise and Fall of Henry Christophe (Knopf, janvier 2025), pourrait sembler être une véritable divergence par rapport à mes écrits précédents.
À bien des égards, j’adopte une approche assez traditionnelle d’une biographie allant du berceau à la tombe, mais une approche qui a également des implications sur la manière dont les biographies sont écrites : je transporte les lecteurs dans les coulisses et leur montre tous les récits contradictoires, en m’abstenant de porter un jugement, car dans de nombreux cas, il est impossible de prendre une décision objective sur qui avait raison.
J’élabore également davantage sur l’influence radicale de Christophe sur les idées politiques révolutionnaires et postrévolutionnaires haïtiennes ; en effet, Chanlatte et Vastey ont tous deux publié sous la presse d’État créée par Christophe pour combattre les représentations racistes et stéréotypées d’Haïti, d’une part, et pour diffuser des idéaux antiesclavagistes, antiracistes et anticoloniaux à travers le monde, d’autre part.
Au lieu de me concentrer sur sa vie, j’aurais pu choisir d’analyser les représentations fictives de Christophe, qui sont nombreuses et reflètent pour la plupart une diabolisation de sa figure.
De la fiction à la réalité : Représentations de Christophe
En effet, je commence la biographie par un prologue de grande qualité littéraire, dans lequel je discute des nombreuses tentatives de représenter la vie de Christophe dans la littérature et le théâtre, du XIXe siècle à nos jours.
Je transporte les lecteurs de l’œuvre de l’auteur britannique J.H. Amherst, Christophe, King of Hayti, mise en scène au Coburg Theatre de Londres dans les années 1820, à la pièce du dramaturge noir William Edgar Easton, Christophe, a Tragedy (1911), avec Henrietta Vinton Davis dans le rôle principal, en passant par l’interprétation de Rex Ingram du roi haïtien dans la pièce de William Dubois, Haiti: A Drama of the Black Napoleon, jusqu’à la mise en scène de Macbeth par Orson Welles en 1936 avec une distribution entièrement noire, que Welles dit avoir été inspirée par la vie de Christophe et qui valut à la production le surnom de “Voodoo Macbeth,” et enfin aux tentatives plus récentes de mettre en scène sa vie par Derek Walcott (1950) et Aimé Césaire (1963).
Bien sûr, l’auteur qui a le plus infamement tenté de fictionaliser la vie de Christophe est l’écrivain cubain d’origine suisse Alejo Carpentier, dont le célèbre roman Le Royaume de ce monde (publié à l’origine en espagnol en 1949) a conduit des générations de personnes à découvrir l’histoire de Christophe, mais qui semblent souvent confondre la fiction avec l’histoire après avoir lu le portrait complètement inventé du roi haïtien par Carpentier.
Mais ce que je m’efforce de clarifier aux lecteurs dès le début du livre, en leur présentant d’abord le vaste corpus fictif de représentations de Christophe—qui inclut également Black Majesty (1928) de John Vandercook et une bande dessinée mexicaine de 1983 inspirée de ce dernier intitulée Fuego : Majestad negra, distribuée dans toute l’Amérique latine—c’est que, si nous espérons comprendre la vie et la mort de Christophe, nous devons finalement nous détourner des représentations fictives.
Honorer un héritage complexe : Écrire la biographie de Christophe
Honorer l’histoire de la vie de quelqu’un en écrivant sa biographie ne consiste pas simplement à décrire ce qu’il a fait, où il est allé, d’où il venait et qui il connaissait, puis à appeler cela la vérité.
Cela signifie aussi essayer de comprendre ce qui motivait cette personne ; cela signifie chercher à localiser ses espoirs et ses rêves ; cela signifie tenter de comprendre ce qui lui causait de la douleur et ce qui lui procurait de la joie ; cela signifie décrire à la fois ses réussites et ses échecs. Influencée par les idées d’Arlette Farge dans The Allure of the Archives, j’ai ressenti la responsabilité de tenter de comprendre Christophe au-delà de la caricature et du cliché, comme une véritable personne humaine, qui n’était pas plus grande que nature.
Je voulais aller au cœur de ses expériences en tant qu’enfant et révolutionnaire, de son rôle de père, de mari et d’ami, et finalement, de l’histoire complexe de comment il est devenu roi. Cela a impliqué de consulter les nombreuses formes d’écrits qu’il a laissées, ainsi que celles de sa famille, de ses amis et même de ses ennemis et rivaux politiques.
Ni une hagiographie ni une diabolisation, ni une exaltation ni une excuse, je guide les lecteurs à travers le destin sinueux et complexe d’un homme probablement né esclave, séparé de sa mère à un jeune âge, qui a participé à deux révolutions —la Révolution américaine à la bataille de Savannah à l’âge de douze ans et la Révolution haïtienne— et dont le parcours, totalement improbable, vers le leadership l’a conduit à tout posséder puis à tout perdre.
De nombreux événements ont dû se produire pour créer les circonstances qui ont permis à Christophe de devenir le premier et unique roi d’Haïti —l’homme qui a supervisé la construction de la célèbre Citadelle Laferrière d’Haïti, un site du patrimoine mondial de l’UNESCO et la plus grande forteresse d’Amérique du Nord, largement saluée comme “la huitième merveille du monde”— mais pour découvrir ces histoires, vous devrez lire le livre.