The Silver Women: How Black Women’s Labor Made the Panama Canal de Joan Flores-Villalobos (University Press, 2023), lauréat du prix Wesley-Logan 2024 en histoire de la diaspora africaine, propose une étude révolutionnaire sur les contributions souvent méconnues des femmes antillaises à la construction et à la vie quotidienne dans la zone du canal de Panama. S’appuyant sur des recherches minutieuses, cet ouvrage remet en question les récits traditionnels centrés sur les travailleurs masculins et apporte une correction essentielle en plaçant le travail et la résistance des femmes noires au cœur de l’histoire impériale des États-Unis.
Flores-Villalobos explore les expériences des femmes antillaises qui ont migré au Panama au début du XXe siècle, évoluant dans une hiérarchie du travail racialisée qui divisait les travailleurs entre le « Gold Roll » privilégié (employés majoritairement blancs et bien rémunérés) et le « Silver Roll » marginalisé (travailleurs noirs sous-payés). Bien qu'elles aient été largement exclues des registres officiels d'emploi, ces femmes ont joué un rôle essentiel dans le fonctionnement du canal, soutenant des communautés entières par leur travail domestique, leurs initiatives entrepreneuriales et leurs activités économiques informelles—des contributions longtemps négligées dans les récits historiques.
Grâce à des recherches approfondies dans les archives, les registres juridiques et les récits personnels, l’autrice met en lumière la manière dont les femmes antillaises ont su créer des espaces d’autonomie malgré les contraintes imposées par les administrateurs coloniaux américains et la société panaméenne. Elles fournissaient des services domestiques aux familles américaines blanches, géraient des pensions et développaient des économies parallèles qui soutenaient les travailleurs du Silver Roll. Ces activités n’étaient pas seulement des moyens de survie, mais aussi des formes subtiles de résistance contre les hiérarchies raciales et de genre qui structuraient la vie dans la zone du canal.
Le livre met également en avant les batailles juridiques menées par ces femmes, qu’il s’agisse de sécuriser leurs droits de propriété ou de contester des pratiques de travail exploitantes. Des affaires comme celle de Jane Hall, une propriétaire jamaïcaine de pension qui a obtenu gain de cause en justice pour le paiement de loyers en pièces d’or, illustrent comment elles ont su manœuvrer stratégiquement dans le système juridique colonial pour faire valoir leurs droits et remettre en question leur marginalisation systémique.
En mettant ces histoires longtemps oubliées au premier plan, The Silver Women reconfigure le récit du canal de Panama, révélant les intersections complexes entre migration, travail et résistance. Une lecture essentielle pour les chercheurs en études sur la diaspora africaine, en histoire du genre et en colonialisme, cet ouvrage apporte un regard neuf sur les enchevêtrements entre race, travail et empire. Le livre est disponible ici.