Une recherche approfondie d'une politique migratoire équitable

À propos du livre Borders and Belonging: Toward a Fair Immigration Policy, par Hiroshi Motomura, publié par Oxford University Press en 2025.

Hiroshi Motomura
Hiroshi Motomura
Susan Westerberg Prager Distinguished Professor of Law at UCLA and Faculty Co-Director of its Center for Immigration Law and Policy, he is a leading scholar of...
Une silhouette solitaire fait face à la clôture frontalière à la limite entre les États-Unis et le Mexique. L’image évoque des questions d’exclusion, de visibilité et du coût humain des frontières nationales — des thèmes au cœur des débats contemporains sur la politique migratoire. Photo de Max Bohme.

Les auteurs de livres réfléchissent souvent au bon moment pour publier. Un livre paraîtra-t-il dépassé dès sa sortie ? Ou bien sera-t-il publié trop tôt, alors que les événements sont encore trop embryonnaires pour être analysés ?

Je me suis posé ces questions à propos de mon nouveau livre, Frontières et appartenance : Vers une politique migratoire équitable, publié par Oxford University Press à la fin janvier 2025. Il a été imprimé quelques jours seulement après l’investiture du président Donald Trump. Les attitudes et politiques de son administration semblent souvent sans précédent dans l’histoire moderne des États-Unis. Quelle peut donc être la valeur d’un livre sur la politique migratoire publié au cours d’une année marquée par un virage politique aussi radical ?

Trop de décideurs rendent des jugements hâtifs dans l’espoir d’obtenir des résultats immédiats visibles pendant le cycle électoral en cours.

Après mûre réflexion pendant les 100 premiers jours de l’administration Trump, j’en suis venu à la conclusion que mes inquiétudes concernant le moment de publication étaient infondées. C’est une période où le débat sur la politique migratoire — non seulement aux États-Unis mais aussi dans le monde entier — a besoin de l’approche à la fois unique et globale que propose Frontières et appartenance. Laissez-moi vous expliquer pourquoi.

Des silos de pensée

Une grande partie des écrits sur l’immigration présente des lacunes importantes, même lorsque leur auteur est un expert réfléchi. Certains textes formulent des critiques percutantes des politiques en vigueur ou analysent des propositions de réforme de manière sérieuse, mais sans exposer clairement ce que l’auteur préconise. D’autres textes proposent une vision affirmative, mais souvent restreinte, issue d’un silo de pensée sans ouverture vers d’autres perspectives.

Certains silos découlent des cloisonnements disciplinaires. Les juristes spécialisés dans les questions de réfugiés ne sont pas réellement en lien avec ceux qui travaillent sur les droits constitutionnels et civils des personnes étrangères. Les juristes ne dialoguent pas avec les sociologues, qui eux-mêmes méconnaissent souvent les travaux des économistes, des philosophes, des anthropologues ou des historiens. Les auteurs spécialisés négligent souvent les lecteurs généralistes.

D’autres silos sont d’ordre politique, les auteurs s’adressant à un public qui partage déjà leur point de vue. D’autres encore sont géographiques. Les auteurs très familiers des enjeux propres à leur pays ou à leur région ignorent souvent l’existence de problèmes similaires ailleurs dans le monde. Les voix des personnes et des communautés concernées peuvent ne pas recevoir l’attention qu’elles méritent, ou bien orienter les écrits d’une manière qui réduit la portée de leur contribution.

Une autre limite fréquente dans les écrits sur la politique migratoire réside dans l’incapacité à trouver un juste équilibre entre ce qui est réaliste et ce qui est utopique. Une vision trop réaliste risque de ne répondre qu’à des événements ou des évolutions ponctuelles sans dégager les idéaux devant guider les décisions sur le long terme. Une vision trop utopique, quant à elle, peut faire abstraction de l’existence des États-nations et défendre des idées comme l’ouverture totale ou l’absence de frontières — des positions sans débouché politique réel.

Cette critique des écrits existants souligne le besoin d’un livre qui aborde la politique migratoire à travers une combinaison de perspectives capables de dessiner une utopie réaliste. Mon public est international. C’est pourquoi j’ai écrit Frontières et appartenance. Bien que je traite principalement des évolutions aux États-Unis, mon objectif est d’examiner diverses situations analogues dans de nombreux pays.

Dix questions

Le livre est structuré autour de dix questions fondamentales, mais rarement posées ensemble. La première question donne le ton : pourquoi les frontières nationales, et pourquoi pas ?

Des militants manifestent en faveur de l’ouverture des frontières et de la liberté de circulation en Europe. Leur message remet en question les hypothèses conventionnelles sur la souveraineté nationale et le contrôle des migrations — une tension que Frontières et appartenance explore à travers le prisme des revendications concurrentes de justice et d’appartenance. Photo de Mortaza.

La deuxième question s’intéresse à la meilleure manière de traiter les millions de personnes dans le monde qui fuient des conditions extrêmes dans leur pays d’origine et cherchent refuge ailleurs. J’en viens ensuite à la troisième question : qui appartient à une société au point de pouvoir remettre en question, de manière crédible, la manière dont cette société définit son avenir à travers sa politique migratoire ?

Borders and Belonging propose un nouveau cadre d’analyse pour évaluer la politique migratoire.

Quatrièmement, j’analyse les choix liés à l’entrée légale dans un pays et à l’expulsion. Cela mène à la cinquième question : quel rôle joue le temps dans l’élaboration de la politique migratoire ? J’y examine la distinction entre les migrations qualifiées de temporaires et celles qui semblent destinées à aboutir à une résidence permanente.

La sixième question s’intéresse aux meilleures options pour faire face à la situation de nombreuses personnes vivant dans un pays sans statut migratoire légal. Une forme de régularisation est-elle la meilleure solution, ou bien est-ce une approche erronée ou insuffisante ? Ce débat conduit à la septième question : quel rôle doit jouer l’application de la loi sur l’immigration ? Et que ne devrait-elle pas faire ?

La huitième question s’intéresse à la manière de prendre au sérieux les opinions des personnes sceptiques ou hostiles à l’égard de l’immigration — et pourquoi cela est crucial. C’est une question que de nombreux défenseurs des droits des personnes migrantes ont évité d’aborder, mais à leurs risques et périls politiques. Ne pas y répondre sérieusement a offert aux démagogues une opportunité politique majeure de plaider en faveur de restrictions migratoires qui, à long terme, affaiblissent la prospérité générale des pays d’accueil.

La neuvième question de Borders and Belonging s’intéresse à ce que signifie réellement « s’attaquer aux causes profondes de la migration ». La dixième et dernière question du livre élargit la perspective. Elle expose les formes d’injustices que les frontières nationales peuvent permettre et dissimuler. Et elle pose la question de la manière dont l’histoire devrait éclairer l’élaboration de la politique migratoire.

Relier les questions

Il devrait maintenant être évident qu’écrire ce livre a été un projet ambitieux. Je me suis souvent senti comme un perchiste s’inscrivant à un décathlon. Je maîtrise certains aspects du droit et de la politique migratoire grâce à des décennies d’expérience, mais j’étais moins expert sur d’autres sujets traités dans le livre. Pourtant, j’ai estimé essentiel de synthétiser les réflexions autour des dix questions pour corriger la vaste production écrite qui écarte certains enjeux fondamentaux.

Par exemple, il est dangereusement réducteur de réfléchir à l’avenir de la protection humanitaire sans prendre en compte ce que signifie s’attaquer aux causes profondes de la migration. Évaluer les catégories d’admission sans examiner la migration temporaire ou permanente est une analyse incomplète. Et lorsqu’on examine les catégories d’admission, il est essentiel de se demander ce que signifie pour les nouveaux arrivants s’intégrer dans un nouveau pays.

Alors, quels sont les principaux enseignements que l’on peut tirer d’une approche aussi large de la politique migratoire que celle adoptée dans Frontières et appartenance ? Dans certaines parties du livre, je déconstruis ce qui est souvent perçu comme une évidence. Le livre propose aussi de nouveaux cadres d’analyse pour mieux comprendre les choix politiques. J’y souligne également des liens essentiels entre des enjeux fréquemment traités de manière isolée. Voici cinq de ces points clés.

Que fait le droit de l’immigration ?

Premièrement, la politique migratoire est souvent perçue comme un ensemble de règles qui distinguent les personnes « à l’intérieur » de celles « à l’extérieur ». Dans ce sens, le droit de l’immigration fonctionne comme la version juridique de la frontière physique. Il protège les personnes à l’intérieur contre les intrusions, voire les invasions, de celles à l’extérieur. Mais cette vision est incomplète et masque certaines vérités fondamentales sur la politique migratoire.

Ce qui se passe après l’arrivée des nouveaux arrivants dépendra en grande partie de leur intégration.

En réalité, la politique migratoire découle du débat entre ceux qui se trouvent déjà à l’intérieur. Certains soutiennent certains types d’immigration. D’autres sont plus sceptiques, voire hostiles à l’immigration.

Adopter cette vision plus large de la politique migratoire — comme un débat entre membres de la société sur la manière de façonner leurs communautés — permet d’avoir une discussion plus honnête sur les véritables enjeux. Les références à une invasion ou à la sécurité nationale restent présentes, mais elles ne constituent qu’un aspect du débat.

Revendi­cations d’humanité et d’appartenance

Deuxièmement, Frontières et appartenance propose un nouveau cadre d’analyse pour évaluer la politique migratoire. Il repose sur le contraste entre ce que j’appelle les « revendications d’humanité » et les « revendications d’appartenance » comme moyens de contester les politiques migratoires. Je définis les revendications d’humanité comme des critiques fondées sur l’idée que certains traitements sont indignes de tout être humain. Parmi les exemples figurent les pratiques cruelles qui accompagnent trop souvent l’application du droit de l’immigration, comme la séparation des enfants de leurs parents, ou le fait de laisser des migrants se noyer en mer ou mourir de soif dans le désert.

En revanche, les revendications d’appartenance reposent sur les liens avec des communautés dans le pays. Ces liens montrent que certaines personnes font partie intégrante de la société. Dès lors, elles peuvent revendiquer un traitement équitable, avec des arguments plus convaincants que ceux d’étrangers. Les revendications d’appartenance prennent souvent la forme de droits civils ou constitutionnels, comme le droit à l’égalité de traitement en vertu de la loi nationale. En revanche, les revendications d’humanité s’appuient généralement sur le langage des droits humains.

Qui appartient ?

Troisièmement, la notion de revendications d’appartenance soulève inévitablement la question suivante : qui appartient ? L’approche développée dans Frontières et appartenance repose sur l’idée que ces revendications ne sont pas fondées sur l’appartenance à une majorité ou à une culture dominante. Ce qui compte, c’est d’appartenir à une ou plusieurs communautés situées à l’intérieur des frontières physiques du pays.

Cette conception de l’appartenance ne repose qu’en partie sur le statut juridique. Les personnes qui formulent des revendications d’appartenance convaincantes n’ont pas besoin d’être citoyennes. Elles peuvent être résidentes permanentes légales ou détenir un statut durable équivalent dans d’autres pays. Elles peuvent également être présentes légalement de manière temporaire, ou dans un statut intermédiaire tel que le Statut de protection temporaire ou DACA aux États-Unis. Elles peuvent même ne pas avoir de statut migratoire légal. Ce qui importe, ce sont leurs liens fonctionnels et sociaux avec le pays.

Temporaire ou indéfini ?

Quatrièmement, Frontières et appartenance explore la distinction entre migration temporaire et migration indéfinie. Le bon sens veut que les personnes appartiennent à l’une ou l’autre catégorie dès leur arrivée. Selon cette logique, il serait incohérent, voire trompeur, de permettre à des migrants temporaires de rester indéfiniment. Pourtant, il est tout à fait raisonnable que les décideurs autorisent l’entrée sur une base temporaire nominale, et il est naturel que les migrants ne sachent pas encore quels seront leurs projets à moyen ou long terme. Ils peuvent repartir, mais avec le temps, ils peuvent finir par s’intégrer — et rester.

Ce qui se passe après l’arrivée des migrants dépendra en grande partie de leur intégration. Un second facteur est tout aussi important : la mise en place de mécanismes permettant de créer de véritables options pour que les migrants puissent retourner dans leur pays d’origine ou faire des allers-retours. Ce deuxième élément rend cruciales les politiques visant à s’attaquer aux causes profondes de la migration. Ces politiques vont de pair avec des règles d’admission permettant une entrée temporaire.

La dimension temporelle de l’élaboration des politiques migratoires

Cinquièmement, le débat sur la migration temporaire ou indéfinie mène à un sujet essentiel : l’horizon temporel de l’élaboration des politiques migratoires. Trop de décideurs rendent des jugements précipités dans le but d’obtenir des résultats visibles pendant le cycle électoral en cours. Mais cette approche privilégie les solutions rapides — comme la construction de murs plus hauts ou l’augmentation des arrestations — au détriment de réformes fondamentales capables de générer des résultats durables.

Ces solutions rapides sont contre-productives. L’absence de vision à long terme fait que les ressources injectées dans les pays d’origine sont souvent détournées rapidement pour financer des moyens de répression. Ainsi, ces ressources ne servent pas à construire des États capables d’offrir à leurs citoyens une véritable alternative à la migration. Mettre en œuvre des politiques efficaces exige de la patience, notamment parce que ces politiques nécessitent souvent des négociations et une coopération transnationale complexes.

Vers une politique migratoire équitable

Ce ne sont là que cinq des idées fondamentales développées dans Frontières et appartenance. En proposant une évaluation à la fois originale et complète de la politique migratoire, le livre offre bien d’autres pistes de réflexion. J’espère que ces idées contribueront à ouvrir la voie vers une politique migratoire plus juste.

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Professeur de droit titulaire de la chaire Susan Westerberg Prager à l’UCLA et codirecteur académique de son Centre de droit et de politique migratoire, il est l’un des principaux spécialistes du droit de l’immigration, chercheur associé non résident à la Carnegie Endowment for International Peace, auteur de plusieurs ouvrages influents, lauréat de prestigieuses bourses, et a récemment publié Frontières et appartenance (Oxford, 2025).