Le fédéralisme américain a longtemps été salué comme un système permettant aux États de servir de « laboratoires de la démocratie », testant des politiques avant leur mise en œuvre à l’échelle nationale.
Pourtant, dans Laboratories Against Democracy: How National Parties Transformed State Politics, lauréat du Prix Merze Tate – Elinor Ostrom 2023 du meilleur ouvrage, l’auteur déconstruit cette vision idéaliste, affirmant que les gouvernements des États sont devenus des champs de bataille pour les intérêts des partis nationaux, souvent au détriment de la représentation démocratique.
À une époque où la polarisation partisane et le recul démocratique dominent le discours politique, cet ouvrage met en lumière la manière dont les structures mêmes censées décentraliser le pouvoir ont été accaparées par des forces nationales organisées.
Comment la politique nationale a remodelé la gouvernance des États
L’ouvrage remet en question l’hypothèse selon laquelle les États élaborent leurs politiques en fonction des besoins locaux. Il démontre plutôt que les législatures des États sont de plus en plus façonnées par des réseaux partisans nationaux qui dictent les agendas politiques, au détriment des préférences de leurs propres électeurs.
Grâce à une recherche empirique approfondie, l’auteur démontre que la politique au niveau des États n’est plus motivée par des préoccupations locales, mais par des militants, donateurs et organisations politiques bien financés opérant à l’échelle nationale. Ce changement a entraîné une augmentation des politiques étatiques qui ne reflètent pas l’opinion publique locale, qu’il s’agisse d’interdictions de l’avortement dans des États modérés ou de lois agressives de suppression du vote.
L’un des arguments clés du livre est que la nationalisation des partis démocrate et républicain a affaibli les mécanismes traditionnels de contrôle et d’équilibre au sein du fédéralisme. Alors que les États étaient autrefois perçus comme des innovateurs autonomes en matière de politiques publiques, ils agissent désormais comme des prolongements des plateformes partisanes nationales.
L’ouvrage décrit comment les groupes d’intérêts, les financiers de campagnes et les réseaux militants ont exploité les institutions des États pour mettre en œuvre des réformes législatives d’ampleur qui rencontreraient une opposition plus forte au niveau fédéral. Notamment, les États contrôlés par les républicains ont adopté des stratégies visant à renforcer leur pouvoir partisan par le biais du redécoupage électoral, de la suppression du vote et de prises de contrôle législatives, affaiblissant ainsi la responsabilité démocratique.
Les conséquences pour la démocratie
L’un des constats les plus marquants du livre est que l’influence des réseaux nationaux a réduit l’apprentissage des politiques entre les États. Traditionnellement, on supposait que les gouvernements des États observaient et adoptaient les politiques réussies de leurs homologues. Toutefois, comme le révèle l’ouvrage, la diffusion des politiques est désormais principalement partisane : les États démocrates imitent d’autres États démocrates, et les républicains font de même, indépendamment de l’efficacité d’une politique donnée. Ce phénomène a entraîné une polarisation accrue et une réduction de la flexibilité dans la gouvernance, les États privilégiant des politiques idéologiquement rigides plutôt que des solutions pragmatiques.
Au-delà de sa contribution académique, l’ouvrage met en garde contre la fragilité de la démocratie dans le cadre du système fédéraliste. Il soutient que les gouvernements des États sont devenus les principaux lieux de recul démocratique. L’érosion du droit de vote, les stratégies de manipulation judiciaire et les manœuvres législatives visant à priver les partis d’opposition de leur pouvoir ne sont pas des incidents isolés, mais font partie d’une stratégie plus vaste rendue possible par les faiblesses structurelles du fédéralisme américain. En exposant ces dynamiques, le livre exhorte les chercheurs, les décideurs politiques et les citoyens à repenser le rôle de la politique des États dans la préservation—ou la détérioration—de la gouvernance démocratique.
Pour ceux qui s’intéressent à la politique américaine, à la théorie démocratique et aux changements institutionnels, Laboratories Against Democracy est une lecture essentielle. Il oblige à affronter la réalité du fédéralisme moderne et souligne l’urgence de protéger les institutions démocratiques au niveau des États. À une époque où les États exercent une influence sans précédent sur les résultats politiques nationaux, ce livre offre à la fois un diagnostic et un appel à l’action. Le livre est disponible ici.