L’attaque du Hamas du 7 octobre, la destruction et les massacres de masse à Gaza, l’agression contre l’Ukraine, les chambres de torture en Syrie, sont autant de crimes qui choquent la conscience humaine et nous horrifient, et pourtant ils dominent nos journaux télévisés.
Qui sont ces personnes ? Pourquoi feraient-elles une chose pareille ? Qu’est-ce qui les motive ? Nous avons tendance à croire qu’elles ont un passé violent, un long casier judiciaire ou des troubles mentaux, sinon elles ne pourraient pas commettre de tels crimes horribles. Mais est-ce vraiment le cas ? Les auteurs sont-ils nés violents et cruels ? Ou le deviennent-ils ?
Le livre vise également à clore le débat sur la question de savoir si les auteurs sont des gens ordinaires, car la réponse est simple : la plupart le sont, mais pas tous.
Et si c’est le cas : par qui, comment et pourquoi ? Sont-ils « terriblement et effroyablement normaux », comme l’a suggéré la célèbre philosophe Hannah Arendt lorsqu’elle assista, dans les années soixante, au procès d’Adolf Eichmann, l’un des principaux organisateurs et exécutants de l’Holocauste ? Si cela est vrai, cela signifierait-il que nous pourrions tous devenir des auteurs d’atrocités de masse ?
Pendant plus de 30 ans, j’ai étudié l’esprit, les motivations et les parcours de vie des auteurs de violences de masse afin de trouver des réponses. En constatant que les auteurs diffèrent, j’ai développé une typologie des auteurs que je présente dans mon livre Perpetrators of mass atrocities – terribly and terrifyingly normal? (Routledge 2024). Le livre permet de mieux comprendre la grande diversité des motivations qui peuvent pousser les auteurs. Il montre qui sont ces individus, d’où ils viennent, comment ils interagissent avec leur environnement et avec d’autres auteurs, et quels choix ils ont faits. Il décrit et explique ainsi comment, quand et pourquoi même des personnes ordinaires peuvent se transformer en auteurs.
Le contexte
Les atrocités de masse ne surgissent pas de nulle part. Elles surviennent dans des périodes de conflit politique marquées par une lutte pour le pouvoir et une division des populations en deux groupes opposés : nous contre eux.
Le « nous » représente les gens bien, ceux qui aspirent à un monde meilleur et ne font que se défendre, et le « eux » désigne le groupe extérieur, les méchants, les mauvais, ceux qui cherchent à nous nuire, voire à nous tuer.
L’idéologie sert d’abord à diaboliser puis à déshumaniser l’autre groupe. Les dirigeants politiques démagogues et extrémistes utilisent une rhétorique chargée d’émotions pour créer la perception d’une crise permanente et accusent les mauvais et les méchants d’être responsables de tous les malheurs et des temps difficiles que traverse la société.
Leur message est si efficace parce qu’il est psychologiquement réconfortant de blâmer les autres plutôt que soi-même, et la solution semble à portée de main : éliminer ce groupe (les méchants « eux ») pour rendre le monde meilleur. Nous en sommes témoins aujourd’hui dans le monde.
Les États qui abandonnent le principe fondamental selon lequel chacun possède des droits humains fondamentaux et inaliénables s’engagent sur une pente glissante et risquent de sombrer dans une période de violence de masse extrême où sont commises des atrocités. C’est un processus progressif, un continuum de destruction, bien connu de nos livres d’histoire, mais qui continue aujourd’hui dans le monde qui nous entoure — ce qui rend les leçons que nous pouvons tirer de ces processus plus actuelles que je ne l’aurais jamais imaginé lorsque j’ai commencé à écrire ce livre.
L’individu
Le livre porte (comme son titre l’indique) sur les auteurs d’atrocités de masse telles que le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le terrorisme et traite de toutes les personnes impliquées d’une manière ou d’une autre dans ces atrocités.
Il cherche à montrer comment tant de personnes différentes, pour des raisons très variées et avec des parcours très divers, peuvent se retrouver prises dans un continuum de destruction qui les pousse à commettre des crimes de plus en plus extrêmes.
Certains auteurs sont en effet des sadiques, des psychopathes ou des prédateurs, mais la majorité ne l’est pas, et il est essentiel d’en prendre conscience.
À travers de nombreuses études de cas illustratives, le livre montre comment des individus prennent certaines décisions souvent sans se rendre compte de la direction qu’ils prennent, jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Le livre vise également à clore le débat sur la question de savoir si les auteurs sont des gens ordinaires, car la réponse est simple : la plupart le sont, mais pas tous. Certains naissent avec certaines déficiences mentales, un manque d’empathie ou de conscience, ce qui les rend plus susceptibles de s’engager dans une forme de violence extrême que les personnes ordinaires. Certains auteurs sont en effet des sadiques, des psychopathes ou des prédateurs, mais la majorité ne l’est pas, et il est essentiel d’en prendre conscience.
Nous ne rendrons pas le monde plus sûr simplement en identifiant et en enfermant ceux qui ont commis des crimes horribles. Cela ne constitue qu’une partie de la solution. Ce que nous devons faire, c’est comprendre pourquoi, quand et comment des personnes ordinaires se transforment en auteurs, et s’attaquer aux causes. Ce livre vise à y contribuer en apportant une compréhension plus approfondie des nombreux chemins qui mènent à la perpétration.
4 types de responsables – 14 trajectoires vers la violence de masse
En identifiant 14 types différents de responsables et en décrivant 14 trajectoires distinctes vers la violence de masse, le livre enrichit le débat, tant académique que public, sur les auteurs. L’obéissance, l’idéologie, l’intérêt personnel, le gain matériel, la vengeance, la peur et la haine peuvent tous jouer un rôle, mais de manière différente selon le type d’auteur.
Les individus diffèrent, et il en va de même pour les auteurs : certains sont motivés par l’obéissance, d’autres par l’idéologie. Certains poursuivent sans pitié leur propre intérêt, d’autres sont effrayés ou menacés et tentent simplement de sauver leur peau. Dans le livre, chaque chapitre est consacré à un type d’auteur. Le type est décrit, son comportement expliqué à l’aide de la littérature scientifique, et des études de cas illustratives sont fournies.
Le cerveau criminel
Le premier et le plus important des auteurs est le leader destructeur ou cerveau criminel. Ce sont ceux qui se trouvent au sommet de la chaîne de commandement, fixent l’agenda, façonnent le contexte et montrent la voie. Des figures comme Hitler, Staline, Mao, Pol Pot, Saddam Hussein, Vladimir Poutine et Bachar el-Assad en sont des exemples.

Ils sont impitoyables et assoiffés de pouvoir. Une fois au pouvoir, ils cherchent à en accumuler toujours plus. Ils se sentent au-dessus des lois et présentent souvent des traits narcissiques et psychopathiques tels qu’un manque de conscience, d’empathie et de peur. Ils sont souvent charismatiques et savent convaincre les gens de croire en eux. Toutefois, les cerveaux criminels ne peuvent pas agir seuls. Ils ont besoin de soutien.
Carriéristes et fanatiques
Les leaders destructeurs et les cerveaux criminels sont généralement entourés de carriéristes et de fanatiques qui deviennent leurs proches collaborateurs.

Les fanatiques sont ceux qui croient en une idéologie extrémiste, soutiennent le leader pour des raisons idéologiques et sont parfois encore plus radicaux que lui. Leur idéologie est rigide et intolérante, et ils sont prêts à recourir à une violence extrême pour transformer le monde selon leur propre vision utopique. Oussama ben Laden et d’autres fondamentalistes religieux sont des fanatiques.
Le carriériste est un type d’auteur très différent : il n’est pas motivé avant tout par l’idéologie, mais par l’ambition et la soif de pouvoir. Il soutiendrait n’importe quelle cause pour accéder au pouvoir et est même prêt à provoquer une guerre ou à soutenir un génocide, comme on l’a vu dans l’Allemagne nazie et l’ex-Yougoslavie. Des figures de haut rang comme Hermann Göring, Albert Speer ou encore Radovan Karadzic, le leader bosno-serbe dans l’ex-Yougoslavie, sont des exemples de carriéristes étudiés dans le livre.
Les vrais croyants et les guerriers sacrés
Les leaders destructeurs qui veulent transformer radicalement la société attirent généralement un groupe de partisans très fanatiques, animés par l’idéologie, la haine et le mépris.

Ils aspirent au changement, croient en leur leader et se considèrent comme membres d’une élite supérieure. Ils veulent changer le monde en éliminant certains groupes qu’ils jugent mauvais et nuisibles.
Ils croient fermement en leur capacité à rendre le monde meilleur et acceptent sans hésitation la violence extrême. Ils peuvent adhérer à une idéologie laïque (Vrais Croyants) ou à une religion (Guerriers Sacrés). Ils deviennent les soutiens fanatiques des leaders extrémistes, prêts à tuer et à mourir pour leurs convictions, comme l’ont montré de nombreux partisans de l’État islamique et des combattants étrangers, mais aussi d’autres partisans de mouvements extrémistes.
Les suiveurs et les guerriers dévoués
Il existe aussi un grand groupe d’auteurs qui se retrouvent impliqués simplement parce qu’ils suivent le courant sans réfléchir. Ils sont obéissants, font ce que les autres font, suivent la masse pour ne pas se faire remarquer : ce sont les suiveurs.

Ils croient que le leader a le droit légitime de prendre des décisions, même si cela implique la guerre ou le génocide. Leur rôle est simplement de suivre et d’obéir. Les Guerriers Dévoués suivent aussi le courant, mais avec enthousiasme.
Ils sont ambitieux et veulent prouver qu’ils sont les meilleurs, les plus loyaux et obéissants de tous. Ils intériorisent l’idéologie et dépassent les attentes. Ils cherchent à se faire remarquer et deviennent des instruments parfaits et volontaires au service d’un régime, d’une idéologie ou d’un leader destructeur. Des exemples de ces Guerriers Dévoués sont Adolf Eichmann, Duch (Cambodge) et Alfredo Astiz (Argentine).
Les profiteurs et les criminels
Il existe aussi de nombreuses personnes qui poursuivent sans pitié leur propre profit ou gain matériel. Elles acceptent le monde tel qu’il est et ne se sentent pas responsables du mal qu’elles causent aux autres. Elles croient que l’ordre social est une lutte permanente et à la survie du plus fort.
La plupart des auteurs d’atrocités de masse ne naissent pas mauvais, ils le deviennent.
Ils sont constamment à l’affût de la moindre opportunité pour tirer profit d’une situation, peu importe les conséquences pour les autres. Ils s’en moquent. Pour eux, cela fait partie du jeu.
Dans la vie, il y a des gagnants et des perdants, et ils veulent être du côté des gagnants.
Parmi les exemples cités dans le livre figurent des trafiquants d’armes et des personnes aux Pays-Bas qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, ont trahi des Juifs uniquement pour toucher une prime.
Les déséquilibrés, les prédateurs et les sadiques
Mais tous les auteurs ne sont pas des gens ordinaires. Certains sont mentalement instables, enclins à la violence, antisociaux et présentent des traits psychopathiques ou prennent même plaisir à faire souffrir et à tuer.

Cela s’explique en partie par des facteurs biologiques ou psychologiques hérités, et en partie par des circonstances telles que l’éducation, l’environnement social dans lequel ils évoluent et les choix de vie qu’ils font. Bien qu’ils soient minoritaires, ils peuvent jouer un rôle crucial en prenant la tête et en intensifiant la dynamique de groupe, entraînant ainsi d’autres personnes dans des comportements criminels et violents.
Ce sont des individus que nous considérerions habituellement comme des marginaux ou des déviants, mais dans des contextes de violence de masse, ils peuvent se retrouver à diriger. Ils peuvent également agir seuls en commettant des massacres dans des actes isolés, comme Anders Breivik (Utoya) et Bouhlel (Nice). Ces auteurs peuvent être qualifiés de déséquilibrés, de prédateurs ou de sadiques. Toutefois, ils restent l’exception plutôt que la règle.
Conclusion
La plupart des auteurs d’atrocités de masse ne sont pas nés mauvais, ils le sont devenus. Le livre montre comment, quand et de quelle manière des individus ordinaires peuvent devenir auteurs, et comment certains profils moins ordinaires prospèrent en période de violence de masse et prennent les commandes.
Il est essentiel de le reconnaître, car il ne suffit pas de blâmer uniquement ceux qui ont commis les crimes les plus horribles. Il faut s’attaquer aux causes et réfléchir aux moyens d’empêcher les gens ordinaires de devenir auteurs. Pour ce faire, nous devons prendre conscience des risques et reconnaître les mécanismes qui peuvent devenir des pièges psychologiques menant à la perpétration d’atrocités de masse.
Avec la montée de leaders politiques très destructeurs et autoritaires, les soi-disant hommes forts, cette prise de conscience est cruciale. Lorsque nous observons les périodes extrêmes de violence de masse, nous avons tendance à blâmer les leaders, des figures comme Hitler, Staline, Mao, Pol Pot ou Saddam Hussein. Mais ce sont leurs partisans qui les portent au pouvoir, facilitent leur violence, exécutent leurs ordres — et ce suivisme destructeur est un problème bien plus grave que l’émergence de quelques individus malfaisants.
Avec ce livre, j’espère sensibiliser les lecteurs aux dynamiques sociales qui sous-tendent l’acte de perpétration et nous aider à trouver des moyens et des méthodes efficaces pour prévenir et mettre fin à de telles atrocités.