Assata Shakur : violence aux États-Unis, silence sur le racisme à Cuba

Bien que célébrée par certains comme une icône révolutionnaire, Shakur est restée silencieuse face à la répression des citoyens noirs par l’État cubain et complice des injustices raciales du régime.

John Suarez
John Suarez
Executive Director of the Center for a Free Cuba. He was a program officer for Latin America Programs at Freedom House. He has testified on human...
Photo d'identité judiciaire d’Assata Shakur, émise dans les années 1970 par les États-Unis.

La mort d’Assata Shakur et ses répercussions politiques

Le ministère des Affaires étrangères de Cuba a annoncé le 26 septembre : « Le 25 septembre 2025, la citoyenne américaine Joanne Deborah Byron, "Assata Shakur", est décédée à La Havane, Cuba, des suites de problèmes de santé et de son âge avancé ».

Son nom complet était Joanne Deborah Byron Chesimard, et elle était une terroriste qui s’est évadée en 1979 alors qu’elle purgeait une peine à perpétuité pour le meurtre d’un policier de l’État du New Jersey. Pendant plus de 40 ans, elle a soutenu le régime oppressif à Cuba et est restée silencieuse lorsque des Cubains noirs ont été torturés, abattus d’une balle dans le dos par la police cubaine et exécutés par un peloton d’exécution.

Sa mort, survenue en plein débat national sur la violence politique aux États-Unis après l’assassinat de Charlie Kirk, est tombée à un moment inopportun pour la gauche.

Rhétorique révolutionnaire et lutte armée

Les efforts pour redorer l’image de Shakur, entamés depuis des décennies, se sont intensifiés après sa mort dans les milieux culturels, militants et politiques. Assata Shakur prônait le renversement du système capitaliste existant, le démantèlement de ce qu’elle considérait comme un gouvernement oppressif aux États-Unis, et l’instauration d’un système socialiste par tous les moyens nécessaires. Shakur appelait également à une restructuration radicale de la société.

Assata Shakur a passé plus de 40 ans à Cuba sans jamais prendre la parole pour défendre les Cubains noirs maltraités, torturés ou tués par la police, ou exécutés par peloton d’exécution.

Elle était membre du Parti des Panthères noires et de l’Armée de libération noire (BLA), une branche encore plus militante du Parti des Panthères noires dans les années 1970. Le BLA était inspiré par l’idéologie marxiste-léniniste et par des figures communistes telles que Frantz Fanon et Che Guevara.

Tuer des policiers était perçu comme un acte d’autodéfense et de révolution. Le communiqué de l’Armée de libération noire, publié après les meurtres, le 19 mai 1971, des agents du NYPD Waverly Jones et Joseph Piagentini à Harlem, illustre cette vision partagée par Shakur.

 « Les nervis armés du gouvernement raciste rencontreront de nouveau les armes des peuples opprimés du Tiers‑Monde tant qu'ils occuperont notre communauté et qu'ils assassineront nos frères et sœurs au nom de la loi et de l'ordre américains… Nous passons à l'action pour désarmer et capturer les porcs afin d'arrêter leurs assassinats et leur brutalité déchaînée. »

Leur message était encore plus explicite dans cet autre communiqué.

« L’importance de la guerre psychologique contre les ‘porcs’ se voit dans le pandémonium immédiatement après l’exécution populaire des ‘porcs’. Waverly Jones et Joseph Piagentini. »

La fusillade de 1973 et le meurtre de Foerster

Dans sa lettre écrite depuis la prison de Riker en 1973, Assata Shakur a pleinement adopté cette approche.

« La fonction principale de l’Armée de libération noire en ce moment est de donner de bons exemples, de lutter pour la liberté des Noirs et de se préparer pour l’avenir. Nous devons nous défendre et ne permettre à personne de nous manquer de respect. Nous devons conquérir notre libération par tous les moyens nécessaires. »

Elle avait des motivations idéologiques pour tuer les policiers. Certains de ses partisans ignorent qu’elle était une fugitive impliquée dans d’autres braquages armés avant la fusillade de 1973 qui a coûté la vie au policier de l’État Werner Foerster. La description faite par le FBI des événements du 2 mai 1973 est accablante.

Photo d'identité judiciaire d’Assata Shakur en 1973 (Domaine public).

Chesimard était une membre active et éminente du Parti des Panthères noires, puis de l’Armée de libération noire, décrite comme l’une des organisations militantes les plus violentes des années 1970. À la même époque, l’Armée de libération noire a revendiqué plusieurs assassinats de policiers à travers les États-Unis.

 Le 2 mai 1973, Chesimard et deux complices ont été arrêtés sur l’autoroute du New Jersey par les agents James Harper et Werner Foerster pour une infraction au code de la route. Les trois individus avaient des pièces d’identité falsifiées et, à l’insu des agents, étaient tous les trois armés de pistolets semi-automatiques. 

Depuis le siège passager avant, Chesimard a tiré le premier coup, blessant l’agent James Harper à l’épaule. Alors que Harper cherchait à se mettre à l’abri, Chesimard est sortie de la voiture et a continué à tirer sur les deux agents jusqu’à ce qu’elle soit blessée par les tirs de riposte de Harper.

Le passager assis à l’arrière, James Coston, a également tiré sur les agents et a été mortellement blessé par l’agent Harper. L’agent Werner Foerster était engagé dans un combat au corps à corps avec le conducteur du véhicule, Clark Squire.

Les Cubains noirs vivent dans une pauvreté extrême à des taux bien plus élevés que leurs homologues blancs.

Foerster a été grièvement blessé au bras droit et à l’abdomen, puis exécuté avec son arme de service sur le bord de la route. L’arme de Chesimard, enrayée, a été retrouvée à côté de Foerster.

Les trois assaillants sont remontés dans leur voiture et ont roulé sur environ huit kilomètres avant d’abandonner le véhicule.

En moins d’une demi-heure, Chesimard a été arrêtée par des agents de la Police d’État du New Jersey. Coston a été retrouvé mort près du véhicule, et Squire a été localisé 40 heures plus tard à moins d’un kilomètre de la voiture.

Chesimard et Squire ont été inculpés, reconnus coupables et condamnés pour le meurtre de l’agent Werner Foerster, ainsi que pour d’autres chefs d’accusation.

Sa condamnation a été confirmée en appel (New Jersey v. Chesimard, 1977), des preuves balistiques ayant lié son revolver .375 Magnum à la fusillade qui a coûté la vie à Werner Foerster.

Le FBI a fourni la description suivante de son évasion en 1979.

En 1979, Chesimard s’est évadée avec l’aide d’une coalition de groupes radicaux de terrorisme intérieur, qui ont pris deux gardiens en otage lors d’un assaut armé contre l’établissement où elle était détenue. Elle s’est ensuite enfuie à Cuba. Depuis lors, elle est considérée comme une fugitive fédérale et fait l’objet d’un mandat pour fuite illégale afin d’éviter son incarcération.

On pourrait soutenir qu’elle était une révolutionnaire communiste engagée, mais on ne peut pas, en toute bonne foi et avec une information correcte, conclure qu’elle était innocente de ces crimes. On ne peut pas non plus affirmer qu’elle fut une militante des droits civiques ou une antiraciste.

Silence sur la répression de l’État cubain contre les citoyens noirs

Assata Shakur a passé plus de 40 ans à Cuba sans jamais prendre la parole pour les Cubains noirs qui ont été maltraités, torturés, assassinés par la police ou exécutés par fusillade. Dans son autobiographie, écrite à Cuba et publiée en 1988, elle affirmait que Cuba représentait un refuge face au racisme des États-Unis.

Représentation murale d’Assata Shakur à San Francisco. Photo de Gary Stevens (CC BY).
Représentation murale d’Assata Shakur à San Francisco. Photo de Gary Stevens (CC BY).

Elle a salué les missions internationales de Cuba en Afrique, mais n’a pas mentionné leur implication dans les purges sanglantes de révolutionnaires noirs en Angola, au profit des élites du régime à la peau plus claire, ni le rôle de La Havane dans la perpétration de crimes de guerre et d’un génocide en Éthiopie pour Mengistu Haile Mariam dans les années 1970 et 1980.

Trois jeunes Cubains noirs, Lorenzo Enrique Copello Castillo, Bárbaro Leodán Sevilla García et Jorge Luis Martínez Isaac, faisaient partie d’un groupe ayant détourné un ferry cuba_

Elle s’est qualifiée d’« esclave en fuite du XXᵉ siècle » et a exprimé sa gratitude envers ses hôtes cubains. Néanmoins, dans une interview accordée_

Cependant, aux États-Unis, le racisme l’a poussée à rejoindre des groupes qui préconisaient la « liquidation physique de la police », à prendre les armes, à engager des fusillades contre eux et à être impliquée dans le meurtre d’au moins un policier. À Cuba, elle a parlé de son expérience personnelle, mais est restée silencieuse quant à ce que subissaient et subissent les Cubains noirs.

Elle l’a justifié en affirmant que « [l]a différence, c’est que les gens au pouvoir aux États-Unis sont ceux qui perpétuent ce système raciste, tandis que les dirigeants ici essaient de le démanteler. »

Cette conviction exigeait d’ignorer que la direction de la Révolution avait privé les Cubains noirs de leur autonomie, et que l’élite est majoritairement blanche dans un pays à majorité noire.

Cela impliquait aussi d’ignorer la détresse des Cubains noirs sur l’île.

Passer sous silence la violence raciste à Cuba

Le 22 mars 1959, Fidel Castro a déclaré que le racisme n’existait plus à Cuba ; en douter revenait à être contre-révolutionnaire, et pouvait mener en prison. Après six décennies et demie de communisme, le régime continue d’affirmer qu’il n’y a pas de racisme à Cuba, malgré le fait que la pauvreté touche de manière disproportionnée les Cubains noirs, 95 % d’entre eux perçoivent les salaires les plus bas, contre 58 % des Cubains blancs, et que les voix noires indépendantes restent réduites au silence.

Quatre hommes se tiennent ensemble, dont un au centre affiche les mots "Patria y Vida" écrits sur son torse nu. L'image évoque l'esprit de la chanson "Patria y Vida", qui est devenue un hymne de la résistance contre la dictature cubaine. Leurs expressions sérieuses et leurs vêtements sombres soulignent le message puissant de la chanson et l'unité des Cubains dans leur lutte pour la liberté et la justice.
La chanson Patria y Vida, lauréate d’un Grammy, dénonce la répression à Cuba sous le régime communiste. Tandis que certains artistes l’ont interprétée depuis l’exil, Maykel Osorbo et Luis Manuel Otero Alcántara ont été emprisonnés sur l’île.

Orlando Zapata Tamayo, prisonnier d’opinion noir cubain, a été soumis à des tortures physiques et psychologiques systématiques entre 2003 et 2010 à Cuba, et après sa mort en détention, le 23 février 2010, il a été la cible d’une campagne de diffamation menée par les autorités du régime. Sa mère, Reina Luisa Tamayo, a dénoncé les mauvais traitements infligés à son fils et brandi une chemise tachée de sang qui lui appartenait, après qu’il a été torturé par des gardiens pour avoir dénoncé des violations des droits humains pendant sa détention. Assata Shakur n’a rien dit à ce sujet, bien que ce fût une nouvelle internationale.

Luis Manuel et Maykel sont emprisonnés depuis 2021, mais Shakur n’a rien dit à ce sujet.

Le 24 juin 2020, à Guanabacoa, Cuba, un jeune Cubain noir de 27 ans, Hansel E. Hernández, a été abattu dans le dos par la police alors qu’il était désarmé. La version officielle affirme qu’il volait des pièces et accessoires à un arrêt de bus quand il a été repéré par deux agents de la Police nationale révolutionnaire (PNR). En voyant les policiers, Hansel a pris la fuite et les agents l’ont poursuivi sur près de deux kilomètres. La PNR a déclaré qu’il leur avait lancé des pierres durant la poursuite. La police affirme avoir tiré deux coups de semonce et un troisième, dans le dos, qui l’a tué. Le corps de Hansel a été rapidement incinéré, ce qui a empêché toute autopsie indépendante permettant de vérifier leur version. Là encore, Shakur n’a rien dit.

Le dissident cubain Yosvany Arostegui Armenteros est mort le 7 août 2020 à Cuba alors qu’il était en garde à vue, après une grève de la faim de 40 jours. Il avait été emprisonné sur la base de fausses accusations dans la prison Kilo 8, à Camagüey. Son corps a également été rapidement incinéré par la dictature. L’activiste antiraciste ne l’a pas dénoncé.

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Manuel de Jesús Guillén Esplugas est mort dans une prison cubaine le 30 novembre 2024, l’asphyxie par pendaison ayant été déclarée comme cause officielle du décès. Cependant, des traces de pas sales et un pantalon imbibé d’urine faisaient partie des preuves de torture retrouvées sur le corps et les vêtements de Manuel. Dans la vidéo devenue virale, sa mère, Dania María Esplugas, affirme que les gardiens de prison ont tué son fils.

Elle pense que Manuel a été battu à mort et que sa pendaison a été mise en scène pour dissimuler la torture, plutôt qu’un suicide comme l’affirment les autorités. En constatant des marques sur ses bras, son dos et son cou, Dania a déduit qu’il avait été torturé avec une matraque et une ceinture militaire avant d’être pendu. Aucun commentaire de l’ex-membre des Black Panthers et de l’Armée de libération noire.

Les artistes noirs ont salué Assata Shakur dans leur musique, mais trop nombreux sont ceux qui ignorent leurs homologues qui croupissent aujourd’hui dans les prisons cubaines, comme les prisonniers d’opinion Maykel « Osorbo » Castillo Pérez et Luis Manuel Otero Alcántara. Maykel a remporté deux Latin Grammy pour avoir coécrit et interprété la chanson *Patria y Vida*, et son appel à la liberté et à la justice lui a valu d’être emprisonné. Luis Manuel et Maykel sont incarcérés depuis 2021, mais Shakur n’a rien dit. Toutefois, il n’est pas trop tard pour que ceux qui s’expriment au nom de la diaspora africaine prennent aussi la parole pour eux.

La solidarité raciale primera-t-elle sur le marxisme-léninisme ?

Les Cubains noirs vivent dans une pauvreté extrême à des taux bien plus élevés que leurs homologues blancs, qui, eux non plus, ne s’en sortent pas bien comparés au reste de l’Amérique latine. Pourtant, la junte militaire révolutionnaire détient une réserve de 18 milliards de dollars en liquidités, tandis que les élites du régime mènent une vie de luxe.

Quelle est la différence entre les États-Unis capitalistes et la Cuba communiste ? Le défunt écrivain homosexuel Reinaldo Arenas en a donné une brève explication à son arrivée aux États-Unis : « La différence entre le système communiste et le système capitaliste, c’est que, même si les deux te donnent un coup de pied au cul, dans le système communiste tu dois applaudir, tandis que dans le capitaliste tu peux crier. Et moi je suis venu ici pour crier. »

Assata Shakur, quant à elle, a vite compris qu’à Cuba, sous le communisme, il fallait garder le silence face aux critiques et applaudir ceux qui détiennent le pouvoir pour survivre. Elle n’a pas été une porteuse de vérité pour les Noirs de Cuba. Elle a ignoré cette partie de la diaspora africaine par instinct de survie.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la position de Politics and Rights Review.

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Directeur exécutif du Centre pour une Cuba libre. Il a été responsable de programme pour l'Amérique latine à Freedom House. Il a témoigné sur les questions des droits humains à Cuba devant le Congrès des États-Unis et la Commission interaméricaine des droits de l'homme à Washington, DC.