La menace nativiste : La politique du « nous contre eux »

À propos du livre The Return of the Native: Can Liberalism Safeguard Us Against Nativism? par Jan Willem Duyvendak et Josip Kesic, publié par Oxford University Press en 2022.

Karel J. Leyva
Karel J. Leyva

Dans The Return of the Native: Can Liberalism Safeguard Us Against Nativism?, Jan Willem Duyvendak et Josip Kesic proposent une critique rigoureuse et perspicace d'un phénomène politique contemporain crucial : la diffusion de la logique nativiste dans divers contextes idéologiques à l'échelle internationale.

Les auteurs identifient trois éléments clés caractérisant la logique du nativisme : la désignation de certains groupes et pratiques comme « natifs » et d'autres comme « étrangers », la perception de l'étrangeté comme une menace, et la défense de l'exclusion comme moyen privilégié pour affronter cette menace. Les critères pour distinguer les « natifs » des « étrangers » sont multiples, touchant des aspects tels que la religion, la race, les origines ethniques et même l'orientation politique.

Le sentiment nativiste s'est maintenant étendu pour englober la culture nationale de la laïcité, où des valeurs telles que la liberté de pensée, d'expression et de sexualité sont de plus en plus instrumentalisées.

 

Le livre examine les hypothèses sous-jacentes au discours sur « l'échec du multiculturalisme » et attribue la perception généralisée de l'inefficacité des politiques d'intégration à une préférence pour le monoculturalisme.

Il fournit des exemples concrets pour démontrer comment la tendance croissante à la culturalisation de l'intégration des migrants a conduit à l'adoption de politiques monoculturelles, qui polarisent la société néerlandaise et stigmatisent certains groupes sociaux.

Les auteurs soulignent que le multiculturalisme n'a jamais été réellement adopté comme un idéal normatif dans ce contexte national. Au lieu de cela, l'héritage des jours de « pilierisation » a été utilisé comme un répertoire heuristique familier pour interpréter les politiques d'intégration.

L'histoire nationale comme outil pour le nativisme

Duyvendak et Kesic explorent le rôle que les représentations de l'histoire nationale jouent dans les débats sur l'appartenance nationale et l'intégration des immigrants. Ils démontrent que la mémoire de l'histoire nationale est centrale dans le nativisme contemporain de trois manières distinctes.

Premièrement, le nativisme dénonce le manque supposé de conscience historique et de reconnaissance de l'histoire nationale, en particulier parmi les élites nationales.

Deuxièmement, le nativisme valorise la perception de l'histoire nationale comme un élément essentiel de l'identité nationale, avec des récits historiques variés.

Troisièmement, le nativisme utilise l'histoire nationale comme un instrument politique pour résoudre les problèmes sociaux. Dans les débats néerlandais, les nativistes posent que la présumée auto-aliénation et l'échec de l'intégration des migrants peuvent être corrigés par une conscience historique politiquement induite du passé de la nation parmi les citoyens nationaux.

Il est à noter que le sentiment nativiste s'étend désormais à la culture nationale de la laïcité, au sein de laquelle des valeurs telles que la liberté de pensée, d'expression et de sexualité deviennent instrumentalisées. Les nativistes mobilisent les relations de genre, l'homosexualité et le christianisme pour souligner l'incompatibilité des musulmans avec la culture occidentale, les considérant comme des intrus dans un paysage moral laïque et comme des perturbateurs du rêve d'une nation unifiée, laïque et moralement progressiste.

 Le christianisme culturel est utilisé pour différencier ceux qui appartiennent à la culture commune de ceux qui n'y appartiennent pas, créant ainsi une menace pour l'héritage supposément partagé. Les partis nativistes de droite ont adopté le christianisme culturel comme un marqueur d'identité nationale, s'opposant à l'islam et présumant que les musulmans n'adhèrent pas sincèrement aux valeurs néerlandaises, même s'ils sont pleinement intégrés dans la société.

L'intersection du nativisme et du racisme

Le livre analyse comment la racialisation et le racisme alimentent le nativisme contemporain. Il soutient que le racisme est de plus en plus formulé en termes culturels et que les formes implicites et explicites de racisme découlent souvent d'une logique nativiste sous-jacente. En France, l'afro-descendance et la religion musulmane ont un impact négatif sur la perception de l'appartenance nationale.

This image captures a group of Muslim women, one of whom is wearing a sign on her back that reads "Wilders racist," referring to the Dutch far-right politician Geert Wilders, known for his nativist rhetoric. The sign is part of a protest against Wilders' views, highlighting the resistance and solidarity within Muslim communities in the face of nativist and xenophobic discourses in Europe. The image underscores the intersection of cultural identity and political activism, as these women assert their presence and challenge discriminatory ideologies in public spaces.
Des femmes musulmanes protestent contre la rhétorique anti-islam du politicien néerlandais Geert Wilders. Photo par Alex Proimos (CC BY-NC).

 

Les personnes non-blanches sont exclues culturellement de la communauté nationale en tant que non-natives. Les valeurs, croyances et perceptions associées à la blancheur sont étroitement liées à une identité nationale dominante qui maintient et soutient une hiérarchie raciale avec les blancs au sommet.

Le nativisme et le racisme, bien que distincts, sont souvent étroitement alliés, avec la blancheur au centre de l'image de soi nationale. Aux États-Unis, le nativisme est accompagné d'une nouvelle montée du racisme, qui a joué un rôle significatif dans les vagues de nativisme américain.

Le nativisme dans la gauche libérale ?

Contrairement à l'accent commun mis dans la littérature sur le nativisme et le populisme, Duyvendak et Kesic étendent leur analyse au-delà des discours nativistes de droite pour inclure les tendances nativistes au sein de la gauche libérale. Ils démontrent comment la gauche libérale dépeint le nationalisme radical de droite comme une différence menaçante, renforçant ainsi la logique nativiste.

Alors que le nativisme populiste de droite considère souvent les élites nationales comme une menace pour la nation en raison de leur multiculturalisme et de leur soutien à l'immigration, les courants nativistes au sein de la gauche libérale se manifestent dans la construction d'un nationalisme fondé sur la solidarité mais qui contribue à légitimer la logique nativiste dans l'espace public.

Le livre apporte une contribution significative en analysant la relation complexe entre le nativisme et le libéralisme. Duyvendak et Kesic montrent que, bien que ces deux courants soient théoriquement opposés, ils se chevauchent fréquemment en pratique. Cette dynamique, marquée par une polarisation croissante entre les nativistes et les partisans du multiculturalisme, ainsi qu'une confiance déclinante dans les institutions politiques traditionnelles, révèle les défis du discours politique contemporain.

En étudiant de manière critique les liens entre le nativisme et le libéralisme, ainsi que les pratiques d'exclusion de certains groupes de la communauté nationale, le livre offre une perspective nuancée sur ce phénomène.

En plus de leur diagnostic social, Duyvendak et Kesic proposent des pistes pour mieux comprendre les racines du nativisme, sa logique sous-jacente et les stratégies que le libéralisme peut utiliser pour le contrer. Ils soulignent l'importance de développer des récits alternatifs qui reconnaissent la diversité culturelle et les enjeux identitaires. Les mesures de redistribution socio-économique à elles seules sont insuffisantes pour relever les défis posés par le nativisme.

Il faut également tenir compte des affiliations de la majorité et forger une identité commune au-delà des divisions culturelles. Le libéralisme politique doit promouvoir une vision inclusive, pertinente pour les minorités et les majorités. La construction de nouveaux récits doit être un processus dynamique, capable de se renouveler en fonction de l'évolution des contextes sociaux et culturels. 

Il est également essentiel de rétablir la confiance au niveau local et de montrer les liens entre les processus locaux, nationaux et mondiaux. Les politiciens ont un rôle décisif à jouer en proposant ces nouveaux récits qui s'opposent aux discours alarmistes des nativistes, en particulier des extrémistes de droite.

Le livre nous invite à repenser le libéralisme politique face au défi du nativisme et à renforcer la cohésion sociale dans un monde pluriel et complexe.

Orientations futures

Malgré les forces du travail de Duyvendak et Kesic, certaines lacunes méritent une attention particulière. Les auteurs rejettent les analyses universalistes fondées sur des processus causaux, arguant que de telles approches négligent le rôle crucial de la perception dans l'explication du nativisme.

Selon eux, des facteurs objectifs tels que la migration ou les crises économiques ne suffisent pas à expliquer la montée du nativisme. C'est plutôt la perception de ces facteurs qui prédit l'essor de cette idéologie. Les auteurs ont certainement raison lorsqu'ils accordent plus d'importance aux perceptions qu'aux faits objectifs. 

Cette perspective est largement reconnue dans la littérature académique. Cependant, les auteurs attribuent à tort cette position universaliste aux psychologues sociaux et rejettent prématurément les précieuses perspectives que la psychologie sociale offre pour comprendre le phénomène nativiste.

De nombreuses études en psychologie sociale et politique ont souligné le rôle de l'identité sociale nativiste dans la formation des perceptions de la menace que représente l'immigration pour certains groupes. Selon la théorie de la menace intergroupe, ces perceptions ne sont souvent pas fondées sur des réalités objectives, mais sont influencées par des facteurs tels que les stéréotypes, les préjugés et des informations biaisées, ce qui peut fausser la situation réelle.

La théorie de la menace intergroupe postule en outre que le nativisme est fréquemment alimenté par la crainte de perdre des privilèges sociaux et économiques, certains groupes percevant une concurrence de la part des immigrants ou d'autres menaces perçues. Cette théorie soutient que le nativisme ne découle pas de facteurs « objectifs » ou « universels », mais de mécanismes psychologiques qui s'activent en réponse à des menaces perçues. Ces mécanismes, façonnés par des peurs et des biais subjectifs, conduisent souvent à des réactions visant davantage à préserver un statut perçu qu'à répondre à de véritables dangers.

Cette perception dépend, à son tour, de conditions spécifiques qui la rendent possible. Certaines de ces études ont également montré le rôle de l'offre nativiste et l'instrumentalisation de l'incertitude dans la reproduction des angoisses nativistes.

Peut-être que le problème réside précisément dans le fait que Duyvendak et Kesic se sont concentrés presque exclusivement sur l'offre du nativisme et ont négligé la demande. En négligeant le rôle joué par les secteurs de la population nativiste dans la dynamique nativiste, ils n'expliquent pas pourquoi l'offre nativiste résonne avec ces secteurs. Cependant, il est essentiel de considérer le rôle actif que ces secteurs jouent dans la promotion et la propagation de l'idéologie nativiste.

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Ph.D. en Philosophie politique (Université Paris Sciences et Lettres). Chercheur associé à l'Université de Montréal, spécialisé en théorie politique et pluralisme. Rédacteur en chef de Politics and Rights Review.