La fin de la protection mondiale des réfugiés ?

À propos du livre Research Handbook on Asylum and Refugee Policy, édité par Jane Freedman et Glenda Santana de Andrade, publié par Edward Elgar Publishing en 2024.

Jane FreedmanGlenda Santana de Andrade
Jane Freedman Glenda Santana de Andrade
Donald Trump marchant le long du mur frontalier, pièce maîtresse de la politique migratoire de son administration, visant à restreindre l'entrée aux États-Unis.

Au milieu d’un débat intense sur l'immigration vers les pays du Nord global, l’asile et la protection des réfugiés deviennent de plus en plus restreints et difficiles d’accès. Dans un contexte de conflits mondiaux multiples, de violence et de persécution de divers groupes sociaux, d’augmentation de la pauvreté et des impacts du changement climatique, près de 120 millions de personnes sont déplacées de force dans le monde. Cependant, les réponses politiques au déplacement — tant au niveau national qu'international — se concentrent de plus en plus sur la protection des frontières plutôt que sur celle des individus cherchant à les traverser pour trouver refuge.

De nombreux pays parmi les plus riches du monde construisent des murs et renforcent la sécurité des frontières pour empêcher les réfugiés d’atteindre leur territoire. Comment et pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Et que pouvons-nous faire pour changer ou résister à ces politiques d’exclusion ? Ce sont deux des questions centrales abordées par les différents contributeurs de notre Research Handbook on Asylum and Refugee Policy.

Les fondements eurocentriques du régime international des réfugiés sont évidents dans les débats et recherches actuels sur les politiques d’asile et de refuge.

Proposant une analyse multidisciplinaire complète avec des contributeurs issus de différentes régions et disciplines académiques, le volume explore les réponses nationales, régionales et internationales aux réfugiés et aux migrations forcées. Il examine comment les politiques d’asile et de refuge ont évolué depuis l’adoption de la Convention de 1951 sur le statut des réfugiés, ainsi que les raisons pour lesquelles les lacunes en matière de protection augmentent aujourd’hui.

Le livre cherche également à inclure des voix extérieures au monde académique, et nous sommes ravis que certains chapitres aient été rédigés ou co-rédigés par des contributeurs ayant une expérience migratoire ou travaillant dans des organisations de la société civile auprès des demandeurs d’asile et des réfugiés.

Comprendre le contexte historique du régime des réfugiés

Pour comprendre les débats actuels et les évolutions des politiques d’asile et de refuge, il est essentiel de les replacer dans un contexte historique et de comprendre les façons dont les politiques et lois sur les réfugiés ont été influencées par la géopolitique et l’essor de l’industrie humanitaire.

Des enfants transportant des conteneurs d’eau dans le camp de réfugiés de Zaatari, en Jordanie. Ce camp figure parmi les plus grands au monde, hébergeant des dizaines de milliers de réfugiés syriens ayant fui le conflit dans leur pays. Photo du Foreign Commonwealth Development Office (CC-BY-ND).
Des enfants transportant des conteneurs d’eau dans le camp de réfugiés de Zaatari, en Jordanie. Ce camp figure parmi les plus grands au monde, hébergeant des dizaines de milliers de réfugiés syriens ayant fui le conflit dans leur pays. Photo du Foreign Commonwealth Development Office (CC-BY-ND).

Morris, par exemple, soutient que l’asile s’est développé à la fois en raison de l’institutionnalisation de l’industrie des réfugiés et des volontés des États-nations (principalement dans le Nord global) de contrôler leurs frontières. Il est également crucial de comprendre comment la Convention de 1951 sur les réfugiés a été adoptée après la Seconde Guerre mondiale, à une époque de déplacements massifs en Europe et au début de la Guerre froide, mais aussi alors que de nombreux pays du Sud global luttaient pour se libérer de la colonisation.

La persécution liée au genre à l’encontre des femmes reste insuffisamment prise en compte dans les régimes d’asile et de refuge.

On peut soutenir que les différentes manières dont ceux qui fuyaient ces conflits ont été traités en termes d’accès ou non à la protection des réfugiés illustrent les hypothèses colonialistes, racistes et excluantes sur lesquelles repose la Convention. La Convention continue ainsi de marginaliser les États et les réfugiés du Sud global.

Les fondements eurocentriques du régime international des réfugiés sont évidents dans les débats et recherches actuels sur les politiques d’asile et de refuge, où l’on continue de se concentrer sur les pays “récepteurs de réfugiés” du Nord global, en mobilisant des discours de “crise” pour décrire les prétendues pressions auxquelles ces pays font face avec l’arrivée croissante de demandeurs d’asile.

Cependant, ce point de vue eurocentrique ignore le fait que la majorité des réfugiés restent dans les pays du Sud global et dans leurs régions d’origine. Ce faisant, il rend invisibles diverses réponses alternatives en matière de refuge et de protection, qui se développent à travers le monde. Les pays d’Amérique latine, par exemple, possèdent des régimes d’asile et de refuge, incluant de bonnes pratiques souvent ignorées ou mal comprises par ceux situés hors de la région.

Securitisation et violence

El “discurso de crisis” mencionado anteriormente sobre la llegada de solicitantes de asilo y refugiados a los países del Norte Global ha sido instrumentalizado por los gobiernos para limitar el número de personas que reciben protección. Cada vez más, estos países están cerrando sus fronteras y aplicando políticas y leyes que hacen casi imposible que los migrantes racializados del Sur Global obtengan protección.

 Des réfugiés derrière une clôture métallique, affectés par des politiques d’asile externalisées rendant presque impossible l’accès à la protection pour les migrants du Sud global dans le Nord global. Photo de Sandor Csudai (CC BY-NC-ND).
Des réfugiés derrière une clôture métallique, affectés par des politiques d’asile externalisées rendant presque impossible l’accès à la protection pour les migrants du Sud global dans le Nord global. Photo de Sandor Csudai (CC BY-NC-ND).

Cela se traduit par l’externalisation des politiques d’asile, avec des États tentant de transférer la responsabilité du contrôle des frontières à des pays voisins et de traiter les demandes d’asile en dehors de leurs propres territoires. L’externalisation implique une série de politiques et d’instruments variés (politiques migratoires formalisées et régimes de visas, initiatives politiques bilatérales et multilatérales entre États, politiques et pratiques ad hoc), mais toutes visent à limiter le nombre de migrants arrivant sur le territoire national d’un pays et à transférer la responsabilité du “contrôle” des migrations à des pays tiers.

Par exemple, les États-Unis ont exercé une énorme pression sur le Mexique pour empêcher les réfugiés de franchir les frontières, tandis que l’Union européenne a conclu des accords avec des pays voisins comme la Turquie, le Maroc ou la Tunisie, en versant d’importantes sommes à leurs gouvernements pour empêcher les migrants de quitter ces pays pour rejoindre l’UE. Et le Royaume-Uni, sous le précédent gouvernement conservateur, a adopté une législation visant à déporter les demandeurs d’asile vers le Rwanda.

Cette sécurisation et militarisation des frontières a rendu les trajets des demandeurs d’asile plus longs, plus difficiles et plus dangereux, avec une augmentation du nombre de décès aux frontières et durant les trajets migratoires. Cependant, les demandeurs d’asile et les réfugiés ne doivent pas être perçus uniquement comme des victimes vulnérables ; il est essentiel de comprendre leurs stratégies de survie et de résistance à ces régimes violents.

Il y a également eu un développement de diverses formes de pratiques solidaires envers les demandeurs d’asile et les réfugiés, dont certaines pourraient être considérées comme un défi aux formes violentes et excluantes de gouvernance des réfugiés, et qui expérimentent avec de nouvelles pratiques et imaginaires de migration et de refuge.

Une approche intersectionnelle de l’asile

Les impacts de l’accès restreint à l’asile et à la protection des réfugiés, ainsi que des frontières sécurisées et militarisées, ne sont pas vécus de la même manière par tous. Le genre, la race, la nationalité, l’ethnicité, la classe sociale, le (dés)handicap, l’orientation sexuelle, etc., influencent la manière dont une personne vit le régime d’asile et de refuge.

Protesters at the "March Against Racism" in London on 18 March hold signs, including "Refugees Welcome" and "Woman, Life, Freedom," opposing anti-immigration laws.
Des manifestants lors de la “Marche contre le Racisme” à Londres le 18 mars 2023, protestant contre la législation anti-immigration. Photo d’Alisdare Hickson (CC BY-NC-SA).

Held et Apata montrent qu’il est nécessaire de combiner une perspective intersectionnelle avec une analyse postcoloniale pour réellement comprendre les expériences des réfugiés queer dans des systèmes d’asile fondamentalement injustes. Ils démontrent comment les stéréotypes genrés et sexualisés au sein des systèmes d’asile renforcent des cadres binaires et hétéronormatifs, qui excluent et marginalisent les demandeurs d’asile et réfugiés queer racialisés.

De même, la persistance des stéréotypes genrés et des structures patriarcales signifie que les formes de persécution liées au genre envers les femmes ne sont toujours pas prises au sérieux dans les régimes d’asile et de refuge. La Convention de 1951 ne mentionne pas le genre (ni le sexe), et malgré la publication de diverses directives par le HCR et des gouvernements nationaux et régionaux, les systèmes d’asile continuent d’exclure de nombreuses femmes cherchant à se protéger de formes de violence liées au genre.

Nouveaux défis et nouvelles solutions ?

En plus des conflits nouveaux et persistants dans le monde, les impacts croissants du changement climatique ajoutent un nouveau défi lié au déplacement et à la protection des réfugiés.

Pro Refugee protest
Personne ne choisirait un voyage périlleux en bateau, souvent dans des conditions dangereuses et potentiellement mortelles, sauf si la situation à terre était encore plus risquée. Ces décisions ne sont pas volontaires mais sont dictées par la nécessité de fuir le conflit, la persécution ou des conditions intenables à la recherche de sécurité et de protection. Photo d’Alisdare Hickson (CC BY-NC-SA).

Les lois nationales, régionales et internationales restent largement inadéquates face à ce défi croissant des personnes déplacées en raison du changement climatique.

La recherche dans les contextes de migration forcée soulève des défis éthiques particuliers.

Même le terme à utiliser pour décrire les personnes déplacées par le changement climatique reste sujet à controverse. Et dans un contexte mondial de restriction de l’asile et de la protection des réfugiés, il semble y avoir peu de volonté de trouver une solution collective pour protéger ceux qui sont touchés par le changement climatique.

Il est évident qu’il faut poursuivre les recherches pour mettre en lumière les échecs et les lacunes des politiques d’asile et de refuge, ainsi que les différentes formes de marginalisation, de violence et d’exclusion auxquelles sont confrontées les personnes cherchant une protection en tant que réfugiés. Cependant, la recherche dans ces contextes soulève des défis éthiques particuliers.

Clark-Kazak plaide pour une éthique radicale du soin dans la recherche sur les migrations forcées, en rendant visibles les asymétries de pouvoir et en se concentrant sur des relations réciproques. Elle soutient qu’il est essentiel d’amplifier et de citer des perspectives éthiques issues de personnes ayant une expérience directe des migrations forcées et dans des langues autres que l’anglais.

Conclusion

La récente élection de Donald Trump comme président des États-Unis a de nouveau mis en évidence la nature précaire de la protection pour les migrants forcés, avec la menace de mettre fin au Statut de Protection Temporaire, utilisé par ceux qui sont déjà aux États-Unis et ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine en raison de catastrophes naturelles ou de conflits armés.

Cette menace, si elle se concrétise, laisserait des milliers de personnes sans protection, exposées à l’arrestation et à la déportation. Dans le même temps, l’Union européenne met en œuvre son Nouveau Pacte sur la Migration et l’Asile, qui renforcera les barrières pour ceux qui tentent de rejoindre l’Europe pour demander l’asile, et appliquera ce qui a été qualifié de politiques “inapplicables et inhumaines” contre ceux considérés comme essayant d’entrer en Europe “illégalement”.

Face à ces politiques d’asile et de refuge de plus en plus violentes et non protectrices, nous pensons qu’il est important de comprendre comment et pourquoi nous en sommes arrivés là afin de tenter de déterminer ce que nous, en tant que chercheurs, pouvons faire pour résister et soutenir ceux qui ont besoin de protection. Nous espérons que notre livre constitue une petite contribution à cet effort.

Comment citer cet article

Freedman, J., et Santana de Andrade, G.(2024, 28 novembre). La fin de la protection mondiale des réfugiés ? Politics and Rights Review. https://politicsrights.com/fr/fin-protection-mondiale-refugies/

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Professeure à l’Université Paris 8, France, et codirectrice du Centre de Recherche Sociologique et Politique de Paris (CRESPPA). Elle a mené des recherches approfondies sur les questions de genre et de migration forcée et dirige actuellement un important projet de recherche financé par l’UE intitulé Growing Up Across Borders, qui examine les expériences des jeunes dans la migration forcée.
PhD en sociologie et chercheuse postdoctorale dans le cadre du projet GRABS, affiliée au Cresppa et à l’Institut Convergences MIGRATIONS. Elle enseigne à Sciences Po Paris et se spécialise dans les migrations, les réfugiés, le genre et les stratégies de survie.