Loi 21 du Québec : impact sur les femmes musulmanes

Karel J. Leyva
Karel J. Leyva
Photo par Nikhil.

La Loi 21, officiellement connue sous le nom de Loi sur la laïcité de l'État, a été promulguée en juin 2019 dans la province du Québec, au Canada. Cette législation interdit à certains employés publics, tels que les enseignants, les policiers et les juges, de porter des symboles religieux visibles lors de l'exercice de leurs fonctions. La loi a été présentée comme un effort visant à promouvoir la laïcité et la neutralité religieuse de l'État dans une société diversifiée, reflétant les valeurs de la laïcité qui sont fondamentales dans la culture et l'histoire du Québec.

Questionner la justification


Cependant, je soutiens que cette loi n'est justifiée ni du point de vue des fondements de la laïcité ni de ses objectifs. Elle devrait être neutre, mais ne l'est pas. Elle devrait viser la liberté de conscience et l'égalité des citoyens, mais loin de réaliser ces deux principes, elle les trahit en affectant de manière disproportionnée les droits des femmes musulmanes. La laïcité devrait être un instrument politique impartial favorisant le respect des identités morales des citoyens, et non un mécanisme d'exclusion et de discrimination à l'égard des groupes minoritaires.

Principes de la laïcité


Pour comprendre la profondeur de cette controverse, il est essentiel de reconnaître que la laïcité est définie par deux principes : la séparation des pouvoirs entre la politique et la religion, et la neutralité de l'État à l'égard de diverses convictions religieuses ou philosophiques. Ces deux principes visent à garantir l'égalité morale des citoyens et leur liberté de conscience. En l'absence du premier, la liberté de conscience est menacée car la citoyenneté exige l'adhésion à une religion publique. En l'absence du second, l'égalité entre les citoyens est en danger, car les individus peuvent être traités différemment en fonction de leurs croyances religieuses. Ainsi, l'essence même de la Loi 21 semble contredire les valeurs fondamentales qu'elle prétend défendre, conduisant à un débat complexe et multiforme sur le rôle de la laïcité dans la société moderne.

Ainsi, lorsque l'article 4 de la Loi 21 affirme que « la laïcité de l'État exige le respect de l'interdiction de porter un symbole religieux », cette affirmation devrait être justifiée en montrant que le port de symboles religieux constitue une atteinte au principe de séparation des pouvoirs entre l'État et les religions ou à la neutralité religieuse de l'État. Est-ce le cas ?

En ce qui concerne le principe de séparation, ni l'autorisation ni l'interdiction du port de symboles religieux par les employés occupant des postes d'autorité ne disent rien sur le soutien officiel, le financement public de l'éducation religieuse ou la promotion de l'État d'une ou plusieurs religions. En fait, la Loi 21 n'aborde pas des questions telles que le financement des écoles religieuses privées et la suppression des crédits d'impôt pour les organisations religieuses et d'autres avantages accordés pour des raisons religieuses. Ce sont ces domaines, et non le port de symboles religieux, qui doivent être examinés pour déterminer si le principe de séparation entre la religion et l'État est remis en question au Québec.

En ce qui concerne le principe de neutralité, il est difficile de voir comment l'une de ses interprétations possibles pourrait justifier la Loi 21. Selon la neutralité des opportunités, un État est neutre lorsqu'il offre à tous les modes de vie la possibilité de bénéficier des mêmes opportunités. Selon la neutralité des effets ou des conséquences, les politiques gouvernementales doivent chercher à avoir un impact similaire sur toutes les conceptions du bien. Selon la neutralité des fins, l'État ne doit pas chercher à favoriser une conception du bien par rapport à d'autres ni faire quoi que ce soit pour qu'il soit plus probable que les individus acceptent une conception particulière plutôt qu'une autre. Selon la neutralité de la justification, l'État ne peut pas justifier ses politiques sur la base d'une conception spécifique du bien, ni considérer qu'une conception du bien est meilleure que d'autres ou se référer à sa valeur intrinsèque. Enfin, selon la neutralité du traitement, un État est neutre lorsqu'il favorise ou entrave de manière équivalente des conceptions rivales du bien. Ainsi, un État viole la neutralité du traitement lorsque ses politiques sont plus favorables ou moins favorables à certaines conceptions du bien qu'à d'autres.

Conséquences et discrimination


La question qui se pose est donc laquelle des conceptions de neutralité est violée lorsque les employés de l'État portent un symbole religieux ? De toute évidence, la neutralité des opportunités, des effets et des finalités n'est pas pertinente. Le fait que certains employés portent des symboles religieux ne signifie pas que l'État s'abstient d'offrir des opportunités de modes de vie qu'il offre à d'autres, ni que de tels signes se traduisent par des politiques ayant des impacts différents sur d'autres conceptions du bien. De plus, il n'est tout simplement pas possible de déduire que lorsque l'État permet le port de symboles religieux par ses employés, il cherche en réalité à favoriser une conception religieuse particulière.

Peut-être que la conception de neutralité la plus apte à justifier la Loi 21 est celle de la justification ? Cette conception permet de soutenir que lorsque les employés publics portent un symbole religieux, ils agissent en tant que représentants de l'État, et de tels signes peuvent être perçus comme une preuve d'un jugement sur la valeur de la religion. Le fait que l'article 3 de la Loi 21 stipule que "la laïcité de l'État exige" que les principes sur lesquels repose la laïcité soient respectés "en fait et en apparence" vise probablement à éviter que l'État soit perçu comme émettant un jugement sur la valeur intrinsèque des symboles religieux portés par ses employés. Cependant, il est évident que l'acceptation du port de symboles religieux par des fonctionnaires publics ne se réfère pas à l'approbation de la valeur intrinsèque de leurs conceptions du bien. En tout cas, cela pourrait être interprété comme une reconnaissance de la valeur de la religion pour l'identité morale des employés qui portent un symbole religieux. Loin de constituer une violation du principe de neutralité, un service public qui reflète la diversité culturelle et religieuse d'une société montre impartialité et inclusion démocratique.

De plus, un service public visiblement uniforme n'est pas nécessairement neutre, ne serait-ce que parce qu'il n'existe aucun lien nécessaire entre le port d'un symbole religieux et les actions basées sur la foi religieuse dans le contexte d'un emploi. Les employés du secteur public doivent être évalués en fonction de leurs actions, non des opinions qui leur sont attribuées par la manifestation de leur croyance. De plus, comme le souligne le philosophe québécois Michel Seymour, l'interdiction de symboles religieux des employés trahit un manque de neutralité envers la religion, car une telle intervention va à l'encontre d'une manière particulière de vivre la religion tout en favorisant les religions qui s'adaptent facilement à l'absence de signes ostentatoires. Cela constitue, en un mot, une violation de la neutralité de traitement.

En ce qui concerne les objectifs de la laïcité, le fait que la Loi 21 discrimine indirectement les employés qui portent des symboles religieux constitue un écart considérable par rapport au principe de l'égalité morale. Des études ont notamment souligné que cette loi affecte de manière disproportionnée les femmes qui portent le hijab, le niqab ou d'autres formes de couvre-chef, ce qui entraîne des effets discriminatoires basés sur l'intersection de la religion et du genre.Les femmes musulmanes sont particulièrement touchées, non seulement en raison du nombre significatif d'entre elles qui portent le hijab, mais aussi en raison de leur présence dans le secteur public, ce qui en fait la plus grande minorité religieuse affectée par cette loi. En fait, certaines des professions ciblées par l'interdiction se trouvent dans des secteurs où les femmes sont beaucoup plus susceptibles d'être employées, comme les éducatrices. Par conséquent, la Loi 21 pose des obstacles aux opportunités d'emploi pour les femmes musulmanes aspirant à ces postes, tout en empêchant celles déjà en poste d'obtenir des promotions professionnelles.

L'historienne de McGill, Elizabeth Elbourne, a déclaré avoir observé la «profonde détresse» causée par l'impact de la Loi 21 sur les étudiants. Avec d'autres chercheurs, elle a mené une étude pour examiner comment cette loi affecte les choix de carrière et les expériences de discrimination des étudiants dans les facultés de droit et d'éducation du Québec. La recherche a montré que 34 % des personnes interrogées ont signalé une augmentation de la discrimination depuis l'adoption de la loi. Plus de la moitié a déclaré qu'elle chercherait du travail à l'extérieur du Québec en raison de la Loi 21. Justice Femme, une organisation dédiée à la défense et à la promotion des droits des femmes, a dénoncé que le harcèlement contre les femmes musulmanes a considérablement augmenté au Québec depuis l'introduction de la Loi 21. Depuis lors, les femmes musulmanes ont signalé de nombreux incidents. Elles sont la cible de commentaires agressifs et d'agressions physiques en public (y compris des tentatives d'arracher le hijab et un cas de crachat sur une femme). Elles doivent faire face au harcèlement et à l'intimidation non seulement au travail, mais aussi sur Internet, ce qui a poussé plusieurs femmes à supprimer les photos de profil où elles apparaissaient avec leur hijab.

Conclusion


L'article 2 de la Loi 21 stipule que la laïcité de l'État est basée sur le principe de l'égalité, mais elle n'impose pas de restrictions religieuses à ceux dont les identités morales ne nécessitent pas le port d'un symbole religieux. Ces individus peuvent choisir des carrières de leur choix sans avoir à renoncer à un élément central de leur identité morale, sans trahir leur religion. La loi prétend également être basée sur la liberté de conscience, mais elle contient une disposition dérogatoire en vertu de laquelle elle est exemptée de l'application de la Charte des droits et libertés. Elle demande à certains de ses employés de choisir entre leurs engagements moraux et leur carrière professionnelle, entre leur intégrité morale et la possibilité de poursuivre une carrière de leur choix. La liberté de conscience exige le droit à la protection contre toute action de l'État qui restreint les individus dans l'accomplissement de ce qu'ils comprennent comme leurs obligations morales et sert de base pour les exemptions des lois et règles qui les empêchent d'agir conformément à ces obligations. Si la laïcité vise à réaliser le principe de la liberté de conscience, la Loi 21 vise à la restreindre.

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Ph.D. en Philosophie politique (Université Paris Sciences et Lettres). Chercheur associé à l'Université de Montréal, spécialisé en théorie politique et pluralisme. Rédacteur en chef de Politics and Rights Review.

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