Introduction de la société civile en Chine

À propos du livre Global Ideas, Local Adaptations: Chinese Activism and the Will to Make Civil Society, de Taru Salmenkari, publié par Edward Elgar en 2025.

Taru Salmenkari
Taru Salmenkari
Chercheuse principale en études sur le développement global à l’Université d’Helsinki. Elle est l’autrice de "Civil Society in China and Taiwan: Agency, Class and Boundaries" (Routledge, 2018).
Des membres de la société civile se rassemblent sous la bannière de Friends of Nature, l’une des ONG environnementales pionnières en Chine, qui promeut la sensibilisation et l’action pour la protection écologique (Crédit photo : Friends of Nature).

La société civile telle qu’elle est promue et adoptée en Chine

Au cours de la vague de démocratisation des années 1980 et 1990, les mouvements démocratiques ont confirmé le rôle de la société civile dans les transitions démocratiques. Cela a stimulé la promotion de la société civile de l’Amérique du Nord et de l’Europe vers le Sud global.

Les mouvements sociaux, plutôt que les ONG, ont constitué la colonne vertébrale des campagnes réussies de démocratisation. Toutefois, les promoteurs de la démocratie ont préféré s’orienter vers la création d’ONG comme méthode principale de développement de la société civile. Ils ont ainsi suivi le modèle de l’industrie de l’aide, qui avait réduit la société civile à des ONG enregistrées avec des comptes bancaires pour faciliter la distribution de l’aide au développement par des acteurs non étatiques.

En s’appuyant sur la théorie de la mondialisation, mon livre considère que les idéaux libéraux de société civile ont été activement exportés vers la Chine par des programmes étrangers de promotion de la démocratie, des organisations internationales d’aide et des chercheurs. L’ouvrage met en lumière que ce n’était pas seulement l’État chinois, mais aussi les bailleurs de fonds étrangers, qui cherchaient à façonner la société chinoise et les ONG émergentes selon leurs attentes.

Le livre montre que la démocratie libérale ne se diffuse pas comme un tout homogène, mais que les acteurs locaux sélectionnent et traduisent toujours les idées libérales en fonction de leurs propres situations, besoins et cadres institutionnels.

Parallèlement, de nombreux Chinois ont adopté volontairement la forme ONG, perçue comme une étape vers la modernité mondiale. Ils ont été attirés par de nouvelles façons d’agir de manière professionnelle via les ONG. Mon livre rend hommage à ceux qui se sont approprié les ONG et les ont utilisées comme leviers pour ouvrir les processus politiques chinois aux initiatives sociales.

Les premières ONG évoluaient dans une société où la plupart des citoyens et des responsables gouvernementaux ne les connaissaient pas. Même les ONG organisées par le gouvernement devaient prouver leur capacité à mener des programmes d’aide de proximité autrefois assurés par l’État, tandis qu’un petit groupe écologiste pouvait être chaleureusement accueilli par une administration locale qui s’attendait à recevoir une délégation officielle.

J’organise l’introduction du livre autour des principales leçons libérales de l’ouvrage. Le livre, en revanche, est structuré différemment, selon des thématiques liées à la mondialisation et à la localisation. Un chapitre, par exemple, explore les efforts chinois pour adapter les ONG au contexte spécifique du pays, avec ses propres valeurs et institutions politiques. Un autre présente des espaces sociaux restés à l’écart de la promotion de la société civile.

Frictions entre le global et le local

La mondialisation implique ce qu’Anna Tsing appelle des frictions entre des principes globaux universels et leurs applications locales. Ces frictions étaient visibles entre les pratiques des premières ONG chinoises et les conceptions rigides des bailleurs de fonds étrangers sur ce qu’est une ONG professionnelle.

Cover of the book Global Ideas Local Adaptations Chinese Activism and the Will to Make Civil Society by Taru Salmenkari

Les premières ONG ont eu du mal à devenir de véritables organisations. Elles étaient nées comme des rassemblements informels de personnes partageant les mêmes idées. Beaucoup privilégiaient le volontariat en réseau aux hiérarchies organisationnelles, jugé plus démocratique. Pourtant, les bailleurs de fonds étrangers exigeaient des structures claires. Ils s’attendaient à une immatriculation officielle, alors même que les lois chinoises ne le permettaient pas encore. Par conséquent, celles qui parvenaient à s’enregistrer étaient stigmatisées comme des ONG organisées par l’État.

Les ONG chinoises étaient conscientes des attentes irréalistes des bailleurs de fonds. La plupart rejetaient la séparation stricte entre l’État et la société qu’on leur imposait. Elles se considéraient comme suffisamment sociales dès lors qu’elles définissaient elles-mêmes leurs programmes. Ancrées culturellement dans la valorisation des réseaux sociaux, elles jugeaient imprudent de se heurter à des responsables avec lesquels elles pourraient devoir coopérer ultérieurement.

Le plaidoyer des ONG chinoises ressemble davantage à du lobbying qu’à des revendications collectives portées par des mouvements sociaux. Elles diffusent leurs idées via des réseaux interpersonnels avec des responsables publics partageant des objectifs communs ou par le biais de discussions publiques où elles cherchent à inclure les administrateurs. Dans le système décentralisé chinois, même un simple responsable de district peut choisir de soutenir l’éducation sur le VIH dans les écoles ou de faciliter la planification de la gestion des déchets.

De nombreuses ONG se plaignaient de l’inutilité de certaines formations fournies par les bailleurs. Ces derniers introduisaient des stratégies de plaidoyer étrangères comme si les ONG chinoises pouvaient les appliquer malgré des systèmes juridiques fondamentalement différents. Les ONG étaient désillusionnées lorsque le financement cessait précisément au moment où elles savaient concevoir des projets encore plus efficaces.

Les ONG elles-mêmes reprochaient aux premières organisations chinoises de trop s’appuyer sur les modèles euro-américains au lieu de développer les leurs. Elles privilégient des projets qui sensibilisent par des rencontres personnelles, montrent des résultats concrets et proposent des modèles dont d’autres peuvent s’inspirer. Ces approches s’inscrivent dans une logique familière au confucianisme.

La dépendance excessive de certaines ONG vis-à-vis des modèles étrangers est devenue évidente en 2016, lorsque la Chine a commencé à réguler les ONG étrangères et les dons venus de l’étranger. Lorsque ces financements ont cessé, les ONG sans ancrage national ont disparu.

Démocratie et voix publique

Plusieurs chapitres examinent la difficulté d’identifier l’influence politique chinoise à travers les paradigmes libéraux, qui considèrent les ONG chinoises comme apolitiques, malgré leur capacité à bloquer des projets publics et à faire intégrer leurs revendications dans la législation. Plutôt que de voir la politique comme la poursuite publique d’intérêts et de préférences individuels, les ONG chinoises la conçoivent comme un jeu stratégique offrant diverses voies significatives vers un même but.

Les ONG chinoises accordent de l’importance à la démocratie. Elles affirment fermement que la société doit être entendue dans les processus décisionnels. Cependant, elles ne cherchent pas à représenter la population. Elles impliquent plutôt le public dans des discussions et des collectes d’informations sur des enjeux sociaux et environnementaux. Elles ouvrent des canaux pour que chacun puisse partager son vécu, signaler des problèmes ou envoyer des retours sur les politiques publiques.

Bien que la démocratie soit largement acceptée par les ONG chinoises, de nombreuses autres idées libérales, comme les intérêts ou les droits, n’ont pas trouvé d’écho.

Les ONG valorisent l’action au niveau communautaire comme un espace où chacun peut participer et exprimer son opinion. Cela peut sembler apolitique, mais c’est en réalité une stratégie démocratique visant à développer la conscience sociale et les compétences citoyennes.

Pour les ONG chinoises, la démocratie signifie la participation populaire, même lorsqu’elle s’exprime dans la vie quotidienne et les communautés locales.

Dans la culture chinoise, l’action quotidienne peut avoir un fort impact, la pratique y étant plus valorisée que les revendications formulées. Les ONG font du lobbying en proposant de nouveaux modèles de gouvernance environnementale ou de services sociaux. Elles laissent ensuite à l’État le soin de généraliser les projets réussis.

La connaissance du quotidien offre un avantage politique. Dans l’élaboration des politiques, les ONG gagnent en crédibilité en apportant des informations issues des communautés et des écosystèmes que personne d’autre ne détient. Elles savent précisément où vivent les espèces menacées ou quels sont les besoins d’un groupe social vulnérable. Rester proche des gens ordinaires est un choix moral, mais aussi un choix stratégique sur le plan politique.

La philosophie euro-américaine conçoit la politique comme un discours public et accorde la priorité à la vie publique par rapport aux sphères sociale et privée. En revanche, le confucianisme ne place pas la parole au-dessus de la pratique. Il ne sépare pas le public du privé. Il considère plutôt que l’action individuelle et sociale peut transformer la réalité politique. Dans cette perspective, les ONG chinoises défendent leurs causes non seulement par des revendications publiques, mais aussi par des réseaux personnels, des actions concrètes et des programmes sociaux pour améliorer la société.

Droits et répression

Bien que la démocratie soit largement acceptée par les ONG chinoises, de nombreuses autres idées libérales, comme les intérêts et les droits, ne se sont pas imposées. Les ONG chinoises privilégient plutôt le langage de l’intérêt public et insistent sur la responsabilité de prendre en compte les groupes vulnérables.

Le terme « droits humains » est rarement utilisé dans le plaidoyer des ONG chinoises, bien qu’il ne soit pas interdit. La seule ONG de droits humains en Chine est une organisation officielle. Sur la scène nationale, elle invoque les droits humains pour renforcer les droits sociaux collectifs.

Sous la présidence de Hu Jintao (2003–2013), le gouvernement encourageait encore la défense des droits comme moyen de transférer les conflits sociaux de l’administration vers les tribunaux. Cela a pris fin avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping (depuis 2013). Son gouvernement a rapidement réprimé les militants d’esprit libéral, que je désigne dans le livre comme les Principiels.

Cependant, les réprimés constituaient une minorité. Il n’existe pas une seule expérience des ONG en Chine, car cela dépend du sujet, de la méthode de plaidoyer, du lieu et de l’agence gouvernementale concernée. L’État investit dans la coopération, voire la facilitation, lorsqu’il considère les ONG comme utiles.

La répression est un outil très ciblé dans l’éventail plus large des méthodes de gestion sociale chinoises. La plupart des ONG ne sont pas confrontées à la répression. Dans ce contexte, les ONG réprimées suscitent peu de solidarité de la part des autres, qui les accusent d’avoir provoqué les ennuis.

Lorsqu’elles s’approchent de sujets sensibles, les ONG reçoivent des avertissements ou des signaux indirects de la part des autorités. Dans ce cas, elles disposent encore d’une certaine marge de manœuvre pour adapter leurs activités. Si une campagne s’avère trop sensible, elles peuvent en lancer une autre avec un objectif différent.

Même si une ONG est fermée par les autorités, elle peut se replier sur des réseaux semi-privés ou même se réenregistrer. Il arrive même que, après la fermeture d’une ONG controversée, ses antennes locales continuent de fonctionner, car les autorités locales reconnaissent l’utilité de ses services.

Lobbying et élaboration des lois

La plupart des ONG chinoises de plaidoyer ont toujours reconnu qu’en l’absence d’alternative réaliste au pouvoir du Parti communiste, elles devaient naviguer dans le système politique existant pour atteindre leurs objectifs. Au lieu de revendiquer des droits, elles formulent des demandes d’intérêt public visant à améliorer l’environnement, la condition des femmes et le bien-être des groupes sociaux marginalisés.

« On fait ce qu’on peut », disent-elles souvent.

Elles ont constaté qu’elles pouvaient accomplir beaucoup dans le système chinois, qui fonde la légitimité du régime sur la performance ; attribue des mandats fonctionnels clairs aux agences de l’État ; sollicite des retours de la société sur ses politiques ; valorise la recherche et l’expérimentation à petite échelle dans le processus décisionnel ; et encourage l’initiative politique venant aussi bien de fonctionnaires individuels que d’experts extérieurs.

Il existe désormais un espace distinct de la société civile doté de sa propre voix dans l’élaboration des politiques.

Bien que le régime de Xi Jinping soit méfiant envers la protection des droits, il a promu le gouvernement par la loi. Cela a offert aux ONG chinoises davantage d’opportunités de participer au processus législatif. Les ONG de plaidoyer ont non seulement soutenu des lois utiles à leurs causes, comme celles contre le harcèlement sexuel ou l’introduction pour la première fois du débat sur le mariage entre personnes de même sexe à l’Assemblée. Le lobbying des ONG a également permis d’intégrer dans les lois de nouveaux outils de plaidoyer, tels que les actions en justice d’intérêt public et la transparence en temps réel des données sur la pollution.

Après tout, le droit ne concerne pas uniquement les droits. Comme le rappelle Michel Foucault, la loi est un outil de gouvernementalité. Le plaidoyer législatif des ONG chinoises a permis de faire passer, par exemple, la violence domestique ou la pollution industrielle d’enjeux privés ou ignorés à des enjeux pris en charge par l’État. Ici, les ONG cherchent à orienter l’action de l’État, plutôt qu’à en limiter la portée.

En-dehors sociaux de la société civile

La société civile libérale étant une idée étrangère pour les Chinois, elle ne s’est pas implantée immédiatement dans l’ensemble de la société. Beaucoup continuent de s’organiser comme ils l’ont toujours fait, dans des espaces sociaux traditionnels appelés minjian (parmi le peuple). Le minjian était le lieu de rencontre des dissidents. Encore aujourd’hui, les protestations en Chine sont organisées via des réseaux minjian informels, sans présence d’ONG.

Comme la société civile libérale, l’espace social chinois traditionnel du minjian repose sur une auto-organisation collective et volontaire en dehors de l’État, mais il ne porte pas les autres attentes libérales telles que la publicité, la voix ou les droits. Le minjian prend la forme et la cause que souhaitent ses participants, tandis que la société civile est limitée à un lieu et un répertoire sociaux spécifiques.

Le livre montre comment des homosexuels âgés dans les espaces minjian et le mouvement global des Fiertés ont réussi à créer des communautés gays et à gagner en visibilité à Shanghai. Il explore également des coins de démocratie informelle et des cercles artistiques souterrains qui s’organisent dans des espaces minjian. Bien que le modèle organisationnel soit local, ils ne sont pas en dehors des autres dynamiques globales.

La position de classe moyenne urbaine des ONG peut entraîner des conflits d’intérêts avec d’autres segments de la société. Lorsque des écologistes veulent transformer des terres agricoles en réserves naturelles, leur culture du travail — faite de réunions, de planification et de rapports — les rapproche davantage du gouvernement que des agriculteurs.

Comment la Chine a-t-elle changé avec les ONG ?

Du point de vue de la mondialisation et de la localisation, le livre conclut que la glocalisation des ONG dans le système politique chinois a été un succès. En vingt ans d’observation des ONG chinoises, j’ai vu les ONG de plaidoyer obtenir une voix reconnue dans les politiques publiques, sinon dans la politique elle-même.

In China, NGOs adapted to the domestic institutional setting and social values. The Chinese state actively contributed to localization, although this sometimes meant cutting off some, often more liberal, sprouts. Nevertheless, NGOs managed to create something new in this constrained environment.

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Du point de vue libéral, le résultat est mitigé. Les ONG de plaidoyer à thème unique sont devenues des machines de lobbying plutôt que des mouvements démocratiques contestant le gouvernement. L’espoir des premiers promoteurs de la société civile selon lequel elle mènerait à une démocratie libérale s’est non seulement effondré, mais l’autoritarisme s’est même renforcé en Chine ces dernières années.

Cela aurait peut-être pu être anticipé. La construction de la société civile s’est concentrée sur l’ingénierie sociale, et non sur l’État. La société chinoise est aujourd’hui un espace fondamentalement différent de ce qu’elle était il y a trente ans. Un espace distinct de société civile existe désormais, avec sa propre voix dans l’élaboration des politiques. Ce qui n’était autrefois qu’une consultation d’ONG en tant qu’expertes individuelles est devenu une participation à la gouvernance.

Le livre montre que la démocratie libérale ne s’exporte pas comme un tout homogène, mais que les populations locales sélectionnent et traduisent ses idées selon leurs situations, besoins et cadres institutionnels. Toutefois, le livre confirme l’attrait et la pertinence des idéaux de société civile libérale, même pour ceux qui vivent sous un régime non libéral.

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Chercheuse principale en études sur le développement global à l’Université d’Helsinki. Elle est l’autrice de "Civil Society in China and Taiwan: Agency, Class and Boundaries" (Routledge, 2018).